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sans le tromper. Il ne s’aveugle pas sur l’amour, la fidélité de ses nouveaux sujets, ne songe nullement à les trahir, les quitte le plus fréquemment qu’il peut, et de cœur ne vit qu’en Hanovre. — « Osnabrück ! Osnabrück ! » criait-il, penchant sa tête livide à la portière de son carrosse, quand, moribond, il traversait la Hollande pour aller rendre l’âme sur cette terre d’élection. On assure qu’il avait alors grand’peur. La captive d’Ahlden venait de mourir, et une prédiction de vieille date avait annoncé à George Ier que les portes du tombeau s’ouvriraient pour lui peu après que sa femme y serait descendue. Autre fantaisie superstitieuse, il avait promis à la duchesse de Kendal (Schulenberg, le Mât-de-Cocagne) de revenir la visiter, une fois mort, s’il pouvait en obtenir la permission. Peu de temps après qu’elle l’eut perdu, un corbeau vint s’abattre, à Twickenham, contre les vitres de)a chambre habitée par la duchesse. Elle ne douta pas que cet oiseau funèbre ne fût l’âme du feu roi, et en l’honneur de cette métempsycose hypothétique hébergea tant qu’elle vécut le noir visiteur.

George II avait trente et un ans quand son père devint roi, et quarante-quatre lorsque la couronne lui échut à son tour (1727). C’était un petit homme, toujours en colère, toujours sacrant, jurant, prodiguant l’injure autour de lui, toujours prêt à mettre le poing au visage des courtisans de son père, fort sujet à déchirer son habit, à lancer loin de lui sa perruque, dans le transport de ses irritations capricieuses; Hanovrien d’ailleurs autant que George Ier et si heureusement préoccupé des affaires allemandes, qu’il laissa les affaires anglaises entre les mains du fameux Walpole, pour lequel il avait professé la plus grande aversion, jusqu’au moment où, mieux avisé, il en fit son premier ministre. Walpole régna et gouverna quinze ans. Ni la vulgarité de ses mœurs, ni sa honteuse immoralité, ni le côté vil de sa politique ne doit empêcher de reconnaître qu’il servit fidèlement son maître, et, grâce au concours vénal d’un parlement corrompu, préserva l’Angleterre d’une seconde restauration. Sous ses maîtres étrangers, dont aucun orgueil n’égarait la raison, et qui laissaient le pays à lui-même, le peuple anglais vit peu à peu se détruire les fermens de désordre que les guerres civiles lui avaient légués. Loyauté (dans le sens de légitimisme), prérogative, haute église (église d’état), devinrent des mots de ralliement surannés, des cris de guerre sans échos. L’exil prolongé des Stuarts fatigua la patience de leurs champions les plus zélés; leur cause vieillit tellement qu’eux-mêmes cessèrent de la défendre, et quand le dernier d’entre eux s’éteignit dans une vieillesse déshonorée, la dynastie nouvelle n’avait plus à s’inquiéter depuis longtemps si Charles-Edouard vivait encore.

Quant à George II, s’il fut accusé d’avarice (accusation mal éta-