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Jean-Baptiste Say a dit : « Les impôts tombent sur ceux qui ne peuvent s’y soustraire, parce qu’ils sont un fardeau que chacun éloigne de tout son pouvoir. » Par conséquent, pour bien considérer l’effet d’un impôt, il ne faut pas seulement voir sur qui il est établi directement, mais sur qui il est appelé à retomber définitivement. Il en est de l’impôt comme des frais de production d’une marchandise. S’imagine-t-on, parce que ces frais sont d’abord acquittés directement par le fabricant, que c’est lui qui les paie définitivement? Il les fait rentrer dans le prix de l’objet fabriqué, se les fait rembourser provisoirement par l’intermédiaire ou le négociant, puis définitivement par le consommateur, qui, lui, ne peut pas les reporter sur un autre. Ce n’est pas assez de dire que l’impôt doit être assimilé aux frais de production, il en fait partie au même titre que le loyer d’habitation, que le prix des matières premières qu’on met en œuvre, que le salaire des ouvriers qu’on emploie. Je prends pour exemple l’impôt des patentes. On ne suppose pas que le négociant qui paie cet impôt, plus ou moins élevé, le paie de sa propre poche, comme une prime gratuite levée sur son bénéfice; il le fait entrer dans ses frais généraux, et il augmente le prix de ses marchandises en conséquence. Ceux qui voudraient nier ce fait pourraient tout aussi bien en nier un autre : c’est que le négociant ne paie pas sur son bénéfice son loyer, ses frais d’administration, et même le salaire de ses ouvriers. Lorsqu’il les paie sur son bénéfice, et cela arrive malheureusement quelquefois dans les temps de crise, c’est qu’il ne peut pas faire autrement, cela n’est pas la règle. Ce qui est la règle, c’est qu’en temps ordinaire, le bénéfice est calculé déduction faite de ces frais. Et il faut bien qu’il en soit ainsi, autrement le fabricant cesserait de produire et le négociant de vendre, et comme la société a besoin des choses que l’un produit et que l’autre vend, elle est obligée de les payer à un prix rémunérateur, c’est-à-dire qui comprenne pour le fabricant et le négociant toutes les avances qu’ils ont du faire, celle de l’impôt comme les autres.

Voilà pour l’impôt des patentes, qu’on croit être établi sur les bénéfices de l’industrie. Prenons maintenant un autre impôt, celui qu’on a particulièrement en vue lorsqu’on dit que les taxes devraient être plus égales et plus proportionnelles à la fortune. Voyons l’impôt sur le revenu. Supposons que la France demande à l’impôt sur le revenu la totalité de son budget, soit environ 1 milliard 200 millions, en dehors de la taxe foncière, dont nous parlerons tout à l’heure, et des revenus qui ne sont que la rémunération d’un service; supposons qu’elle supprime en conséquence toutes les autres taxes, et notamment la taxe des patentes, celle de l’enregistrement, les droits sur les sucres, sur les boissons, sur le tabac, les droits de