d’intérêts semblables, de tant d’actions communes, pourquoi voit-on survivre entre les deux nations un antagonisme si ruineux et si périlleux pour elles?
Nous savons gré à M. Disraeli d’avoir posé cette grave question, qui n’est ni moins opportune ni moins importante d’un côté de la Manche que de l’autre. A notre avis, le chef de l’opposition anglaise est loin d’avoir donné le mot de l’énigme qu’il a proposée aux méditations de ses compatriotes. M. Disraeli, pour expliquer cette contradiction, s’est contenté d’un commode et banal refrain d’opposition. Si les choses vont si au rebours du sens commun, c’est la faute de lord Palmerston! La politique adoptée par le ministère à l’égard de la France est une politique de défi et de violence morale! Chose curieuse, c’est dans les affaires d’Italie que M. Disraeli a surtout reproché à lord Palmerston d’avoir taquiné, traversé, contrecarré la politique du gouvernement français. M. Disraeli est-il sûr que l’initiative morale exercée par le cabinet anglais dans les affaires italiennes ait au fond bien vivement contrarié notre gouvernement? En vérité, qu’en sait-il? Un homme aussi expérimenté que lui ignore-t-il qu’il y a aussi en politique de douces violences? J’admets que notre politique italienne dans ses vicissitudes diverses a pu avoir deux apparences différentes. Il y a eu la proclamation qui annonçait la délivrance des Italiens « des Alpes à l’Adriatique, » et il y a eu la paix de Villafranca. Pour prendre la dernière incarnation de ce dualisme, nous avons M. de Goyon; mais nous avons aussi M. de Lavalette. Pourquoi M. Disraeli supprime-t-il une des faces de notre Janus? Comment un homme aussi fin et aussi pénétrant peut-il croire ou feindre de croire que la vraie politique de la France, celle que nous avons le plus à cœur, est celle que, pour la commodité du discours, nous appellerons la politique Goyon? C’est le besoin d’une argumentation d’opposition qui a conduit M. Disraeli à commettre ce contre-sens. Des faits qui aujourd’hui appartiennent à l’histoire auraient dû le convaincre que cordiales pressions anglaises nous ont été, dans les affaires d’Italie, non moins utiles qu’agréables. Au moment par exemple où la politique des annexions prévalut, M. le comte Walewski, qui avait été contraire à ce mouvement, mû par un honorable scrupule de conscience, quitta le portefeuille des affaires étrangères. Lord John Russell à cette époque, dans une note devenue célèbre, nous pressa de consentir aux annexions. L’éminent successeur de M. Walewski, M. Thouvenel, tira de cette pression anglaise un parti de maître. La note de lord John Russell lui servit d’abord à nous dégager vis-à-vis de l’Autriche des liens du traité de Zurich; puis les annexions italiennes, si chaudement patronnées par le cabinet anglais lui fournirent un irrésistible argument pour revendiquer au profit de la France .Nice et la Savoie. M. Disraeli ne saurait avoir la naïveté de croire que, bien que la politique représentée par M. Walewski ait dû céder à la passion de lord Palmerston et de ses collègues pour les annexions, la politique française ait pu sortir blessée