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les conséquences, pas plus que dans la vie ordinaire nous ne nous résignons à subir les effets d’une foule d’autres passions qui ne sont pas meilleures, mais qui sont tout aussi naturelles. Cela ne suffit pas pour les légitimer, et si le respect que nous devons à la liberté d’autrui ne nous permet pas de descendre trop profondément dans le cœur de notre prochain pour y rechercher les secrets de sa conscience, il nous appartient cependant aussi, quand ces secrets viennent à éclater au grand jour et se traduisent par des actes ou par des paroles, de les discuter et de les combattre, de les juger et de les condamner suivant les notions que nous avons du juste et de l’injuste.

Ce droit de discussion, les Anglais nous provoquent incessamment, nous et bien d’autres, à en revendiquer l’usage par suite des prétentions de plus en plus excessives qu’ils ne craignent pas d’afficher toutes les fois que dès questions relatives à leur marine et à celle des autres puissances viennent à être agitées dans les meetings publics, dans la presse et surtout dans le parlement. Le temps, qui d’ordinaire a la vertu de calmer et de modérer les esprits, ne semble travailler à cet égard qu’à fournir de nouveaux alimens à l’exaltation de nos voisins. Plus nous allons, plus ils deviennent ombrageux, irritables, exigeans. Ce qui n’était, il y a quelques années encore, que le rêve ou l’aspiration d’un grand peuple a fini avec le temps par se changer en maximes que l’on nous donne aujourd’hui pour des principes, et que l’opinion publique de l’autre côté de la Manche regarde presque comme paroles d’Evangile. Autrefois l’Angleterre parlait de la nécessité pour elle de maintenir sa supériorité maritime ; c’était d’abord un fait, et ensuite ce fait pouvait se justifier par le droit incontestable qui appartient à chaque puissance de dépenser ses revenus comme elle l’entend, lorsqu’il n’en résulte pour les autres ni dommage direct, ni violation des traités, ni atteinte portée à la liberté d’autrui. Maintenant nous n’en sommes plus là ; maintenant même c’est tout le contraire : il ne s’agit plus de supériorité à entretenir, il s’agit bel et bien d’une suprématie absolue qu’il faut faire accepter au monde comme un nouveau dogme. La supériorité reconnue, mais seulement relative, la prépondérance même, mais à la condition qu’on l’obtiendrait seulement par ses propres efforts, ne sont plus choses dont on se contente ; on va bien plus loin, on proclame comme un axiome de la jurisprudence internationale la concession faite à l’Angleterre de la domination effective des océans, qui serait fondée non pas seulement sur le fait que l’Angleterre est capable d’entretenir à elle seule une flotte plus considérable que celle de tous les autres peuples ensemble, mais aussi sur le droit que l’Angleterre aurait de limiter et d’arrêter le