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profond dont cette scène était l’indice. Un néophyte prêchant ouvertement la religion chrétienne, un public chinois l’écoutant sans colère, des bonzes ne manifestant vis-à-vis de leur interlocuteur d’autre sentiment que celui de l’embarras, tout cela témoignait de l’ébranlement des préjugés anti-chrétiens et montrait que les vieilles traditions d’intolérance avaient reçu, par suite de l’édit impérial, une réelle et sérieuse atteinte. Remarquons aussi que l’incident se passait à l’une des extrémités de la Chine, à cinq cents lieues de Pékin : d’où l’on doit conclure que les volontés de l’empereur n’étaient restées ignorées sur aucun point de ses états. L’attitude que put prendre en diverses occasions le missionnaire français vis-à-vis des autorités chinoises ne permet d’ailleurs aucun doute sur l’effet moral que produisit dans tout l’empire l’édit de 1844 au moment de la promulgation.

Dans les années qui suivirent 1844, cette influence morale fut plus sensible encore. dès qu’il fut possible de se rendre compte des conséquences de l’édit, tous les efforts des directeurs de congrégations se portèrent vers l’augmentation du clergé indigène. Tant que la religion chrétienne avait été interdite par la loi, on avait peine à trouver un nombre de Chinois assez fermes dans leur foi, assez résolus dans leur attitude, pour administrer des paroisses isolées. L’intelligence et la mémoire sont souvent très développées chez les Chinois ; la force de caractère est parmi eux une qualité fort rare. Quand les circonstances devenaient critiques, des défections ne manquaient point de se produire ; elles étaient particulièrement graves, si l’exemple de la faiblesse était donné par le dépositaire même de l’autorité. Les rapports des prêtres européens s’accordent à représenter l’excessive timidité des indigènes comme un des principaux obstacles contre lesquels ils avaient à lutter. La terreur inspirée par les mandarins était telle que beaucoup de parens chrétiens, dans la crainte d’être trahis par leurs enfans, ne leur donnaient aucune instruction religieuse jusqu’à l’âge de douze ans. La levée des prohibitions écartant le danger qui s’attachait jusqu’alors à la pratique du culte comme à l’exercice du sacerdoce, on était mieux en mesure de mettre à profit les heureuses dispositions qui se rencontraient chez de jeunes néophytes. Des collèges et des séminaires se fondèrent ou prirent une nouvelle extension dans les ports où, d’après les traités, les Européens avaient le droit de résider, et en peu d’années le nombre des prêtres chinois devint considérable. En lisant la correspondance des missionnaires, on voit que les résultats obtenus ne furent pas sans importance. M. Delaplace, lazariste s’exprime ainsi dans un rapport qui porte la date du 26 août 1848 :