Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/696

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des bords et ne se risquent à passer sur l’autre rive que quand le temps est beau. Le rivage oriental du lac, le long duquel on naviguait, est formé d’un terrain rouge sur lequel s’élèvent de grands blocs de grès. Au-delà d’une plage dont les sables quartzeux ont des reflets de diamans, on voit dans la-plaine se dresser quelques villages de pêcheurs. Ils sont ordinairement bâtis à l’entrée des vallées et des ravins, et le flot vient les battre. Les huttes sont de terre et n’ont pas d’autre ameublement que quelques nattes et des outils de pêche.

À quelque distance au nord-ouest, près d’un lieu appelé Wafanya, l’Ujiji fait place à l’Urundi. La population de ce nouveau pays est inhospitalière et grossière. Le chef de Wafanya se présenta en personne, précédé de son étendard, une lance au bout de laquelle pendait une longue queue faite des fibres blanches d’une écorce, et suivi d’une cinquantaine de guerriers armés de lances et d’arcs. Il venait réclamer le présent de bienvenue. Il reçut quatre vêtemens, deux colliers et trois bracelets de corail, en échange desquels il eut la générosité de donner une chèvre.

À Wafanya, les canots se préparèrent à passer le lac, qui est coupé en deux stations par l’île Ubwari. La constante humidité de l’atmosphère entretient dans cette île de continuels brouillards. Elle est longue de 40 kilomètres, large de 6 ou 8, et composée d’une arête de rochers qui descendent brusquement à cette mer intérieure, et sont coupés de gorges étroites. Du sommet au rivage, elle est couverte, de verdure ; la végétation offre ici plus de profusion encore que celle des bords du lac, et beaucoup des parties de l’île sont bien cultivées. Les habitans sont très redoutés. On dit que derrière leur épais abri de feuillage ils sont toujours à l’affût d’une proie humaine. Cependant les voyageurs descendirent sur deux points de l’île sans avoir à se plaindre des indigènes. Ces hommes ne forment pas une belle race ; Ils sont vêtus d’une étoffe d’écorce appelée mbugu, à laquelle pendent des queues d’animaux. Les femmes attachent leurs seins avec une corde et les dépriment d’une affreuse façon. Elles sont couvertes de peaux de chèvres ou de jupes d’écorce. Les femmes des chefs portent des anneaux de cuivre et des ornemens en perles. À Mtuwwa, une des principales localités de l’île Ubwari, le sultan réclama un droit de visite et reçut un bracelet et deux vêtemens. De ce point, les canots se dirigèrent vers le rivage occidental, où ils atteignirent Murivumba, dans l’Ubembé. C’est une contrée où les hommes, le climat, les moustiques, les crocodiles, sont également redoutables. Les indigènes y sont anthropophages ; ils abandonnent à la nature sauvage un sol très fertile et se repaissent des plus ignobles alimens, d’insectes, de vermine, de chair putréfiée. Ils mangent la chair humaine