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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/714

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naturellement et pour ainsi dire à leur insu. Qui ne connaît la force de ces influences latentes qui agissent sur nous d’une manière insensible et nous plient doucement à des habitudes contre lesquelles nous songeons d’autant moins à réagir que nous ne sentons pas la main qui nous les impose ? L’éducation, dans ce qu’elle a de durable et de tout à fait invincible, ne se compose guère que d’influences de ce genre. Les leçons imposées par contrainte s’oublient, mais le pli que ces influences doucement agissantes ont imprimé à l’âme ne s’efface jamais. Ce n’est pas indifféremment que l’œil d’un enfant contemple des ses premiers jours de belles et nobles images, et c’est ainsi qu’on a judicieusement expliqué l’aptitude naturelle des Italiens à saisir la beauté pittoresque. De toutes les influences insensibles, quoique souveraines, qui agissent sur nous aujourd’hui, la plus considérable et la plus, morale, est à coup sûr la musique. Quelle autre influence pourriez-vous citer après celle-là ? Une seule peut-être, celle de l’industrie et des spectacles qu’elle présente, à chaque pas dans nos villes modernes. Cette dernière est plus visible, et on peut en suivre avec moins d’efforts les résultats. Elle s’impose à notre vie de chaque jour, change peu à peu les dispositions, de nos demeures, modifie nos habitudes. La musique est à notre vie morale ce que l’industrie est à notre vie matérielle.

Nos mœurs, nos actions, nos vices et nos vertus ont donc en eux un élément musical que nous ne soupçonnons pas, et qui agit dans nos âmes comme le fer et le sel agissent dans l’économie de nos corps. Un poète cherchait naguère combien de quintaux de gloire appartenaient à Racine dans le bronze de la place Vendôme et quelle part lui revenait dans les victoires de la république et de l’empire. L’idée a semblé étrange et paradoxale à plusieurs ; elle n’était que judicieuse. Qui pourrait dire pareillement quelle part appartient aux grandes œuvres musicales modernes dans nos victoires les plus récentes, et dans cette allégresse guerrière, cette insouciance de la mort, et cette facilité au dévouement qui ont frappé tous les yeux dans nos dernières campagnes ? Ce qui est certain, c’est que les œuvres de la musique, moderne sont encore plus familières à nos contemporains que les œuvres de Racine et de Corneille ne l’étaient à nos pères. Nos jeunes officiers savent peut-être moins bien que leurs pères les tirades des tragédies françaises, mais il n’en est aucun qui ne sache par cœur les cavatines de Rossini. Les plus ignorans de nos soldats, ceux même qui ne sont jamais entrés dans un théâtre lyrique et dans une salle de concert, ont été visités à leur insu par le dieu du son. Comme le philosophe Jacques du Comme il vous plaira de Shakspeare, ils.ont aspiré toute la gaîté et toute la mélancolie, des chansons des musiciens modernes. Elles sont venues les chercher