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eaux-de-vie. Un des directeurs du ministère des finances, chargé de l’organisation de ce service, M. Grote, homme de tête et de volonté, avait préparé une liste des employés nouveaux, et s’offensa de la voir bouleversée par le ministre, qui avait à faire la part des créatures de ses neveux. La querelle allait jusqu’à l’empereur et se dénouait par une déconvenue de M. Kniajievitch, à qui il ne restait plus qu’à se retirer. Ces changemens d’ailleurs n’éclataient pas brusquement et à la fois comme la révélation d’une politique hardiment nouvelle ; ils se succédaient par intervalles dans un espace de trois mois, non sans mille détours et des ménagemens infinis, suivant la constante habitude d’Alexandre II. Le vieux général Souchozannett était richement doté dans sa retraite. Le général Muravief recevait un don considérable de terres qui ne laissait pas de scandaliser quelque peu Pétersbourg au premier moment. Ces éliminations successives n’étaient pas moins, dans une certaine mesure, un événement en Russie, où jamais peut-être on n’avait vu autant de changemens en si peu de jours.

Quels sont d’un autre côté les hommes nouveaux appelés au pouvoir ? Tous les choix ne procèdent point d’un même esprit, il est vrai, et s’il est malheureusement un fait palpable, c’est l’absence d’une pensée précise dans ces révolutions du personnel politique russe. Il est cependant quelques hommes dont l’élévation au pouvoir a une assez réelle signification, et par leur valeur propre, par la nature de leurs idées, et parce qu’ils sont les amis du grand-duc Constantin, dont ils représentent l’influence dans le gouvernement. Celui dont le nom a eu le plus de retentissement au dehors est le successeur de l’amiral Poutiatine au ministère de l’instruction publique, M. Golovnine. Chose curieuse et presque extraordinaire en Russie, où l’on commence à en voir de ce genre et où l’on en verra bien d’autres, M. Golovnine n’est point un général, non plus que le nouveau ministre des finances, M. Reutern, Ils étaient tous les deux relativement peu connus, étrangers jusqu’ici à la politique. M. Golovnine notamment est un homme de la génération nouvelle, jeune encore, d’une instruction sérieuse, ayant des vues élevées. C’est, à tout prendre, le ministre le plus libéral qu’ait eu la Russie depuis longtemps, et il n’avait qu’à paraître pour être populaire, parce qu’il était inconnu et parce qu’on attendait beaucoup de lui.

Sa tâche n’était pas pourtant des plus aisées. Il n’avait pas seulement à remettre un peu d’ordre là où on avait mis la confusion, à effacer les traces les plus criantes de la réaction outrée qui avait signalé les derniers momens du ministère de l’amiral Poutiatine ; il avait encore à éviter de compromettre des les premiers pas sa position, soit vis-à-vis des influences anciennes, toujours puissantes autour de l’empereur, soit vis-à-vis de l’opinion, qui le soutenait en