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l’abolition de toute la garde impériale ; mais la cour de Russie trouve pénible de se priver du spectacle de ces brillans cavaliers dont chacun coûte pourtant 1,000 roubles par an. Il est certain que le général Milutine est partisan de larges réformes dans l’organisation de l’armée et dans le budget de la guerre ; c’est ce qui lui a valu une certaine popularité. Le ministre des finances, M. Reutern, est aussi un ami du grand-duc Constantin, un esprit éclairé et zélé, de qui on attend du bien, et en dehors du ministère même, parmi les grands fonctionnaires, un des mieux accueillis est le nouveau gouverneur de Pétersbourg, le prince Suvarof, qui était auparavant gouverneur des provinces baltiques allemandes. Le prince Suvarof peut avoir sans doute un libéralisme d’une espèce particulière, il ne le prodigue pas en paroles ; mais il est actif, intègre, impitoyable pour les vices de l’ancien régime, et il a déjà prouvé à Saint-Pétersbourg qu’il ne craignait pas de mettre la main sur les abus invétérés de l’administration, sans ménager même la camarilla, dont il n’a pas les sympathies depuis une certaine aventure où, placé entre un personnage influent et ses créanciers qui n’osaient le poursuivre, il s’est prononcé énergiquement pour les créanciers en leur conseillant de recourir aux tribunaux. L’aventure s’est dénouée, dit-on, par une saignée faite à la cassette de l’empereur ; mais on en a voulu au prince Suvarof, et les gens de cour ne demanderaient pas mieux que de l’éloigner. Le gouverneur de Pétersbourg est à sa manière un des représentans de cette phase politique nouvelle de la Russie.

À ne considérer que ces choix, l’influence à laquelle ils sont dus, les premiers actes et la bonne volonté de quelques hommes, et surtout le bruit qui s’est fait autour de ces révolutions du monde officiel, on dirait que la Russie est entrée d’un pas plus décisif dans la voie du libéralisme, et à tout prendre ce mouvement est bien quelque chose sans doute. Il ne faudrait pourtant pas se méprendre sur le sens, la nature et la portée de ces changemens. Cette victoire des idées réformatrices est plus apparente que réelle. Au fond, ce libéralisme, si mitigé qu’il soit, s’énerve dans la pratique, et rencontre une multitude d’obstacles dans le caractère et les opinions de l’empereur lui-même, dans la puissance survivante de tous les intérêts d’ancien régime, de toutes les traditions d’absolutisme et de réaction, dans les malfaisantes habitudes laissées par le dernier règne et si difficiles à déraciner, dans la résistance passive du vieil organisme administratif. Honnête d’instinct et justifiant assez le nom de bien intentionné qu’il a reçu, autocrate de race, de tradition, non de théorie comme son frère, plus irrésolu que le grand-duc Constantin, mais aussi moins passionné, moins systématique et par cela même peut-être plus porté à. se rendre au besoin à des