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de police sanitaire, sans aborder les questions qui agitaient tous les esprits, c’était se faire une illusion étrange. On pouvait au contraire tenir pour certain que les questions proposées par le gouvernement seraient considérées comme un objet fort secondaire, que le mouvement d’opinion qui était dans le pays se ferait jour dans les assemblées, et c’est là justement ce qui arrivait.

La physionomie de ces assemblées, tenues successivement dans les villes principales de l’empire, à Moscou, à Pétersbourg, à Novgorod, à Toula, à Tver, à Smolensk, est certainement une des choses les plus curieuses de la situation actuelle de la Russie. Au fond, c’est un même esprit qui se révèle partout, et qui trouve son expression la plus tranchée, la plus caractéristique dans quelques-unes de ces réunions, traversées d’un éclair de vie parlementaire. Les assemblées de la noblesse des gouvernemens de Saint-Pétersbourg et de Moscou s’ouvraient presque en même temps à la fin de janvier 1862. On ne s’attendait à rien de bien sérieux de celle de Pétersbourg, siégeant à côté du gouvernement et sous ses yeux, toute peuplée de grands dignitaires de la cour, de chambellans, d’aides-de-camp de l’empereur, de généraux. La noblesse de Pétersbourg était considérée d’ailleurs jusqu’ici comme une des plus arriérées, et cependant il s’est trouvé que, dans cette assemblée même, les idées libérales ont fait plus de progrès qu’on ne pensait. Elles ont été assez fortes pour soutenir la lutte et disputer la victoire. L’assemblée devait d’abord s’occuper des banques foncières ; mais les esprits étaient ailleurs, et on se jetait aussitôt dans des discussions plus graves, plus vives sur les règlemens de l’émancipation, sur l’abolition des privilèges de la noblesse, sur l’égalité de toutes les classes devant la loi, devant l’impôt, sur l’admission de tous les propriétaires dans les assemblées provinciales. Je ne veux saisir que le fait le plus saillant et le plus significatif : c’est une motion du libéralisme le plus net présentée tout à coup au milieu de ces débats par M. Platonof, maréchal du district de Tsars-koe-Selo. M. Platonof est le fils du dernier amant de Catherine II, Platon Zoubof, le frère d’un personnage qui a exercé dans ces derniers temps une dure autorité à Varsovie. Il était plutôt connu jusqu’ici pour ses idées nobiliaires et absolutistes. Était-il sincère dans sa conversion ? On a cru, on a dit à Pétersbourg qu’il n’avait présenté sa motion que pour détourner une manifestation d’un caractère plus modéré et par cela même plus pratique. Quoi qu’il en soit, il demandait nettement pour la Russie la convocation des états-généraux, et cette proposition, accueillie avec une ardente sympathie par une portion de l’assemblée, devenait aussitôt l’objet du débat le plus animé, où l’ancien régime trouvait pour défenseurs M. Karamsine,