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Ainsi voilà le progrès, voilà le but et le mérite par excellence : reproduire exactement sur un bol, sur une lampe ou dans une assiette, l’œuvre des maîtres. S’il s’agissait de décorer un panneau de salle à manger, une frise de palais, un plafond ou une coupole, passe encore ; mais les peintures de Sèvres ne sont pas, comme celles de Ninive, de Tébriz ou de Brousse, sur une grande échelle décorative : elles ne vont pas au-delà des proportions de la miniature, et votre très grande exactitude à reproduire un tableau à l’huile n’est qu’un pastiche moins estimable, s’il est possible, que ces procédés galvano-chromiques qui ont au moins le mérite d’une complète similitude.

On ne saurait véritablement, dans ce genre de peinture, être trop sobre, d’abord sur le choix du sujet, ensuite sur la quantité de couleurs à employer, ainsi que sur le degré de vigueur des ombres, qui doivent être d’une délicatesse extrême, nous devrions dire nulles ; car dès qu’elles sont poussées au noir, ou seulement indiquées, la couleur est salie et manque absolument son effet décoratif sans produire en échange le moindre effet de trompe-l’œil. Bornez-vous donc aux peintures simples, rendez-nous une plante dans sa beauté naïve ; ne faites plus ces guirlandes massives et ces bouquets qui contiennent toutes les fleurs de la création, car, ainsi étouffées et arrangées, elles perdent non-seulement leur grâce intime et personnelle, mais encore, pour donner de l’harmonie et du relief à ce lourd assemblage de couleurs, vous êtes forcé d’y mettre tant de demi-teintes, d’ombres et de vigueurs, vous fatiguez tellement la couleur vraie, que l’effet d’ensemble est détruit. Regardez à distance, et vous n’apercevrez plus qu’une masse grise et informe, exactement comme si le vase était en rotation continuelle.

Si vous voulez le progrès dans l’art du décor céramique, renoncez à ce système déplorable : faire de la grande peinture ! Ne commettez plus cette fatale erreur de croire que, la peinture à l’huile étant le moyen suprême d’exprimer la forme et la couleur, il faut faire passer l’industrie de la porcelaine dans le domaine de cet art. C’est ainsi qu’on perd ses qualités propres sans acquérir celles des autres. Méfiez-vous des prétentions impossibles, de la vanité des difficultés vaincues. Transformer une industrie de pure décoration en un art d’expression, c’est la détourner de son but. Non-seulement il y a la difficulté de peindre sur des matériaux impropres, mais encore l’inconvénient d’appliquer l’objet peint à un usage qui jure avec l’effet qu’on a voulu produire. Ainsi quoi de plus ridicule que ce service de table où chaque assiette représente, d’après les tableaux de Vernet ou de Gudin, des marines au clair de lune, des tempêtes, des naufrages et des hommes à la mer ? Tout cela est