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semblent prendre plaisir à tourmenter. La sœur d’Herwig vint à mourir, et le capitaine se trouva de nouveau avec son enfant en face de la misère, ce roi des aulnes si douloureusement chanté par la ballade; mais plusieurs années s’étaient écoulées depuis le jour où on l’avait mis en retrait d’emploi, et le temps avait cicatrisé ses blessures. Il sollicita le grade qu’il avait occupé déjà dans l’armée; on fit droit à sa requête, et on le replaça dans la légion étrangère.

Dans ce nouveau corps, on fut d’abord tenté de plaisanter un peu ce brave homme aux habitudes réglées et au visage placide, chez qui le caractère du caissier était plus apparent que le caractère du soldat; puis, lorsqu’on eut vu au feu le capitaine Herwig, la plaisanterie à son égard prit quelque chose de respectueux et d’attendri. Le marquis de Sennemmont déployait vis-à-vis du capitaine ses coquetteries du meilleur aloi, et ses camarades même les plus rebelles aux sentimens de déférence et de douceur prenaient un visage bienveillant pour lui parler. Ce vieux soldat, plein de candeur, partageait avec les enfans le privilège d’avoir sa bienvenue dans tous les yeux.

Mais c’est surtout sa fille Dorothée que je voudrais peindre. L’origine allemande dans cette charmante créature se trahissait par des cheveux de ce blond souriant et honnête que le ciel a donné aux épis. Ses joues avaient des teintes franches d’un rose vigoureux et d’un blanc candide; toutefois il y avait quelque chose de secret et de préoccupant dans ses yeux. Son regard ne répondait en rien à tous les autres traits de sa personne, non pas cependant qu’il fût dépouillé de toute ingénuité virginale : loin de là, il avait un charme profond de pureté; mais derrière ce charme se montrait soudain un attrait d’une tout autre nature. Les contes de fées parlent souvent de génies enchantés dans des palais de cristal; les yeux transparens de Dorothée semblaient renfermer quelque hôte mystérieux. J’ajouterai que ses yeux étaient noirs. Or le blond et le noir, quand un caprice de la nature les réunit, produisent toujours un effet étrange. Ce sont des fleurs bleues que le ciel place dans la moisson, comme pour allier la pensée du regard céleste à celle de cette création bienfaisante. Ces grandes fleurs noires qui, dans les visages de jeunes filles, s’épanouissent parfois sous des chevelures de la même couleur que les épis, seront toujours des objets inquiétans, trahissant quelque dangereuse magie. Voilà quelles réflexions les yeux de Dorothée pouvaient faire naître pour un observateur attentif.

Cet observateur n’était pas son père. Quoiqu’il l’eût contemplée bien souvent, le digne homme continuait à voir dans sa fille une enfant dont le bien-être matériel était son unique souci. Il ne lui demandait que d’être fraîche et joyeuse; il possédait cette illusion tant de fois décrite qui empêche les parens de comprendre les change-