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ils construisirent un grand nombre avec une merveilleuse rapidité ; les Français donnèrent la préférence à ce qu’ils appelèrent les batteries flottantes : de vilains navires au point de vue pittoresque, très peu faits pour tenir la mer, c’était encore très certain, mais qui avaient l’avantage précieux, dans les circonstances particulières au problème du moment, de tirer très peu d’eau, de porter une artillerie considérable par le nombre et par le calibre, et surtout de porter cette artillerie sous la protection d’une cuirasse de fer qui, à bonne distance, devait rester impénétrable aux coups de l’ennemi. Quant au fond, l’idée n’était pas nouvelle ; on avait cherché dans tous les siècles, notamment dans le dernier, à procurer aux murailles des navires une force de résistance au canon plus considérable que le bois ne pouvait leur en donner. Le général Paixhans avait même pendant longues années proposé et préconisé l’emploi du fer pour cet objet ; mais les tentatives antérieures qu’on avait faites avaient échoué, et les propositions du général Paixhans avaient été écartées sans aucun essai de réalisation, comme n’étant pas praticables ou étant trop coûteuses. On raconte que cette manière de voir persistait encore dans beaucoup d’esprits, lorsqu’on réveilla le projet de construire des bâtimens cuirassés, et qu’il ne fallut rien moins que l’autorité et la fermeté de l’empereur pour obtenir que la chose fût expérimentée. L’accroissement des ressources mises à la disposition de la marine, les progrès merveilleux qu’avait faits depuis trente ans l’industrie métallurgique, ne suffisaient point pour entraîner toutes les convictions. Quoi qu’il en soit, on ne niera sans doute pas que l’initiative de ces constructions ne soit venue de France, ni même, je pense, que les batteries flottantes construites par les Anglais en même temps que les nôtres, le Meteor, le Glatton, le Trusty, n’aient été faites sur des plans communiqués directement par l’amirauté française. Est-ce cette tache d’origine qui empêcha les Anglais de faire autant de diligence que nous et de se trouver prêts, comme le furent la Dévastation, la Lave et la Tonnante, à la réduction de Kinburn ?


III. — LES FREGATES CUIRASSEES.

Le succès des batteries flottantes à Kinburn peut être regardé comme l’occasion d’où naquirent les frégates cuirassées ; mais à qui revient la priorité d’invention ? Je ne vois pas qu’elle soit jusqu’ici réclamée par personne ; aussi, comme pièce au procès qui s’engagera peut-être plus tard à ce sujet, qu’il me soit permis de dire ce qui est venu à ma connaissance.

Il y a quelque temps, lorsqu’il était si fort question des frégates