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se trouvait à Tabatinga, il rencontra un colporteur yankee envoyé dans les provinces de l’Amazone par une « société d’évangélisation. » Le Yankee avait fidèlement sermonné ses auditeurs et distribué des bibles que personne ne pouvait lire ; mais dans un moment de ferveur il s’était permis d’assassiner un homme. On voit que, si les Tapuis ne font pas de rapides progrès, ils ne sont pas les seuls coupables.

Quant à l’instruction publique, elle n’est pas simplement négligée chez les Tapuis ; elle est presque nulle. On leur a accordé l’institution de la garde nationale et le droit de suffrage, on leur a donné des képis et des baguettes de tambour ; mais on a oublié de leur envoyer des maîtres d’école. Aussi leur ignorance est-elle absolue. Dans les villes, ils ne savent ni lire, ni écrire ; dans les campagnes éloignées, ils ne savent pas même compter. « Quel âge as-tu ? demandait-on à une charmante jeune fille des bords du Tocantins dans toute la fleur de ses quinze années. — Quarante ans ! » s’écria-t-elle d’un air triomphant, heureuse de s’être donné un âge qui ne permettait pas de la prendre pour une enfant. Puis, afin de mieux convaincre l’étranger, elle ajouta : « Je veux me marier ! » Chez ces peuples encore maintenus dans la barbarie, dépourvus des premiers élémens de l’instruction, on ose à peine dire qu’il existe une langue dans la haute acception que nous attachons à ce mot. Leurs besoins sont si limités, le cercle de leurs idées si étroit, ils ont si peu de chose à se dire, qu’un jargon composé de quelques centaines de mots leur suffit amplement. Entre eux, ils se servent de la lingua geral, espèce de langue franque d’une extrême pauvreté, formée de mots d’origine guaranique et enseignée à leurs pères par les jésuites. Dans les villes, ils commencent à comprendre le portugais ; mais ceux qui sont restés pendant toute leur vie éloignés d’un centre civilisé ne peuvent s’exprimer d’une manière compréhensible que pour dire leurs noms de baptême et demander un verre d’eau-de-vie. Telle est l’ignorance profonde où croupissent des hommes libres auxquels on accorde, comme par ironie, le titre de citoyens. Cependant les résultats étonnans obtenus par ceux qui se sont donné la peine d’élever des Tapuis prouvent qu’on ne doit pas attribuer la naïveté enfantine de ces Indiens au manque d’intelligence. Les deux villes de Para et de Manaos ont chacune fondé un établissement dos educandos où l’on recueille quelques petits orphelins de race indienne pour en faire des citoyens utiles. On leur explique les premiers élémens des sciences, la musique, une profession manuelle, et les progrès qu’ils font dans toutes les branches de l’instruction sont vraiment remarquables. À Manaos, les produits de leur industrie, consistant en canots et en meubles de toute espèce, suffisent