Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/961

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont la fabrication demande non-seulement une longue patience, mais encore une certaine dose d’art, les Brésiliens de l’Amazone ne livrent au commerce que le fruit de leur cueillette ! C’est à peine si les produits des plantes qui ne croissent pas spontanément et demandent la surveillance de l’homme entrent en ligne de compte dans leur insignifiante exportation. Le cacao expédié en 1858 de Manaos à Para représentait une valeur de 25,000 francs ; le café, cette denrée brésilienne par excellence, figurait dans l’exportation totale pour une somme de 500 francs, et pas une seule balle de coton provenant des régions de l’Amazone n’avait même été envoyée à Para[1]. Une seule petite vallée péruvienne est donc beaucoup plus importante pour le commerce que tout le reste du territoire amazonien !

Cependant la partie du Marañon comprise dans le territoire du Pérou n’est pas encore sillonnée par des vapeurs, et les deux bateaux qu’on avait fait venir d’Europe à grands frais se sont engravés avant d’avoir fait un seul voyage utile. Pour arriver jusqu’à Moyabamba, il faut remonter le Huallaga, puis la rivière Paranapura, coupée de cascades périlleuses, gravir une montagne escarpée, ronger d’effrayans précipices sur une étroite corniche incessamment ébranlée par les eaux du Pumayacu ou cataracte du Lion, et s’élever enfin sur une paroi de rocher à pic en montant les degrés d’un escalier de bois suspendu au-dessus des abîmes. Tous les objets doivent être transportés à dos d’homme, et souvent un seul négociant emploie de trois à quatre cents porteurs pour expédier ses denrées ou faire venir les marchandises achetées à Tabatinga. On ne saurait donc s’exagérer l’importance du réseau fluvial de l’Amazone pour les républiques colombiennes, lorsque la vallée du Huallaga, dans le Pérou, ne sera pas la seule qui permette aux Hispano-Américains d’exporter leurs produits à Para, lorsqu’on pourra tourner les cascades du Caquetà, du Napo, du Mamorè, du Purus, et s’embarquer au pied même du Chimborazo, du Sorata, de l’Illimani, pour se rendre jusque dans l’Atlantique. Alors le grand fleuve, artère aujourd’hui presque inutile d’un territoire où sont perdus 250,000 habitans, encore sauvages pour la plupart, ou bien réduits en servitude, deviendra la principale voie d’échange pour une population plus considérable déjà que celle de tout l’empire brésilien, et composée en entier d’hommes libres. Ce sera là une véritable révolution commerciale pour l’Amérique du Sud, et du coup l’importance économique de l’Amazone sera plus que vingtuplée. L’or, l’argent, le mercure, le sel des mines de la Colombie et du Pérou,

  1. En 1858, les bateaux à vapeur transportèrent de Manaos à Parà des produits pour une valeur totale de 1,108,000 francs. De cette somme, 700,000 francs environ représentaient la valeur des exportations péruviennes.