Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui se trouvaient sur leur passage. Une hésitation évidente se manifesta chez les zéphyrs qui n’avaient pas été touchés. Les troupes aussi bien que les hommes isolés ont leurs momens de faiblesse à côté de leurs momens d’héroïsme. Pendant que cette hésitation se produisait, une seconde décharge mieux dirigée encore que la première doubla parmi les assaillans le nombre des morts et celui des blessés. Les zéphyrs alors furent ce qu’on appelle en termes militaires ramenés, et les Kabyles, encouragés par leur succès, quittèrent les abris où ils avaient dressé leur embuscade. Ils se montrèrent debout et joyeux, faisant pleuvoir sur leurs ennemis, suivant l’usage des peuples primitifs, un amas d’invectives guerrières.

« Les montagnes, a dit Goethe, sont des instituteurs qui font des élèves silencieux. » — Ces paroles prouvent, pour m’exprimer dans la langue du troupier, que l’auteur de Faust et de Werther n’avait jamais trahie ses guêtres en Kabylie. Point de peuple chez lequel le bavardage soit plus étourdissant et plus impitoyable que la nation kabyle dans les journées de poudre, quand ses paroles sont à la portée des oreilles ennemies. Bautzen était indigné. Mille sentimens froissés amenèrent chez lui une colère qui le fit parler à son tour. Placé à quelques pas en avant de sa troupe au moment où les deux décharges l’avaient assailli, il avait enfoncé son bâton dans l’espace de terre où était son pied; puis, s’étant retourné du côté des siens avec un visage enflammé, il avait apostrophé l’un après l’autre tous ceux de ses soldats qui n’étaient ni morts ni blessés. Passant enfin de la série des reproches individuels au discours général, il avait demandé à ses zéphyrs si décidément ils allaient supporter une conduite de Grenoble. Je n’ai jamais connu d’une manière précise l’origine de cette expression, mais je l’ai toujours vue exciter dans une même mesure l’hilarité ou le courroux, suivant la manière dont elle était employée. Aussi quelques zéphyrs, atteints par leur chef dans ce que l’amour-propre a de plus sacré, se remirent lentement face en tête; mais un coup fatal avait été porté, et Bautzen, avec la moitié de sa compagnie disparue, ne pouvait plus se flatter d’obtenir un de ces succès où se plaisait son juste orgueil.

Cependant une partie de la colonne avait vu ce qui se passait à l’avant-garde. Monté sur un petit cheval blanc, adroit, agile et ayant cet air de bonhomie résolue que prennent volontiers les chevaux des officiers d’infanterie, le marquis de Sennemont marchait à la tête de ses deux bataillons. Quand il se rendit compte de la situation critique où se trouvait Bautzen, il donna l’ordre à deux compagnies de marcher au secours des zéphyrs. L’une de ces compagnies était commandée par Serpier, l’autre par Herwig. Les voltigeurs et les grenadiers, car les troupes dont il s’agit se compo-