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de Mansfield, que nous noircissons sans cesse les épreuves de la vie en les jugeant seulement d’après l’aspect terrible qu’elles présentent à l’œil d’un spectateur, et en ne tenant pas compte du surcroît d’énergie qu’elles éveillent chez le lutteur qui se débat contre elles. Ailleurs déjà M. Smith avait exprimé la même pensée par une ravissante image, celle des oiseaux de mer qui volent dans la tempête, moitié ailes, moitié rafale, comme nous sommes nous-mêmes, nous tous qui avons un vol quelconque. Notre force est moitié à nous, moitié à la nature.

Mais le mal moral, le meurtre prémédité et accompli par malice ?… Depuis longtemps déjà, Goethe avait répondu que sans l’ombre il n’y aurait pas de lumière. « C’est une vérité claire comme un théorème d’Euclide, que le bien moral et le mal moral prennent en même temps naissance. Vous dites que les mobiles, les énergies de l’homme devraient être uniformément gouvernés par la conscience et la raison. Eh ! comment donc l’homme pourrait-il avoir une conscience et une raison, s’il n’était pas sujet à être emporté par des passions malfaisantes ? La conscience ne consiste pas à fonctionner machinalement suivant une certaine loi ; elle consiste à vouloir vivre d’après une certaine loi, à s’imposer soi-même, ou à accepter une bonne règle. Supposons une race d’êtres qui, par instinct ou par suite de passions admirablement équilibrées, auraient toujours agi de la manière la plus bienfaisante pour l’ensemble, il n’y aurait plus eu de place chez eux pour une force morale quelconque. Il y aurait eu des actes que vous pouvez considérer, si cela vous plaît, comme un code parfait de moralité en action : toujours est-il que ces actes n’auraient pas été déterminés par des sentimens de responsabilité, de devoir, de mérite. La morale eût été aussi étrangère à ces machines vivantes qu’elle est étrangère aux castors et aux fourmis. »

Mais les fureurs effrénées et les monstrueuses folies de l’homme barbare ?… Toutes ces fureurs, ces folies sont simplement l’explosion des instincts qui ignorent leurs limites, et ne peuvent les apprendre que par les représailles qu’ils provoquent. En elles-mêmes, les passions que nous nommons mauvaises sont des organes indispensables à la vie. Depuis la faim, l’épouvante et l’aveugle égoïsme, qui ont déterminé les premières agrégations, depuis la cruauté, l’orgueil, le fouet du maître, qui ont contraint l’indolence, encore incapable d’agir par prévoyance, à commencer la longue odyssée de l’industrie, il n’est pas une des forces les plus accusées de notre nature qui ne soit entrée et qui n’entre encore comme un facteur dans nos vertus et nos meilleures œuvres. La colère et la vengeance sont les germes de la justice sociale et de l’indignation ; l’orgueil est l’aliment du respect de soi-même. L’amour même procède