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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/1009

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Et vraiment je m’étonne que M. Smith n’ait pas été frappé des contradictions que renferme son système. Si l’instinct du bonheur est tout chez l’homme, que signifie de justifier la douleur et de chercher à nous en consoler en faisant valoir l’accroissement de facultés qu’elle nous assure ? La consolation est excellente : pour ma part, je n’en connais pas d’autre qui puisse nous guérir de notre révolte et de nos aigreurs ; mais pour l’accepter il faut que déjà nous soyons arrivés à préférer notre amélioration et notre dignité morale à notre plaisir, c’est-à-dire il faut que l’instinct du bonheur ait été détrôné en nous par cette autre tendance qui a été appelée le sens moral, et dont M. Smith conteste l’existence.

Que signifie encore cette théorie qui nous présente la morale comme une simple règle d’intérêt général adoptée par l’individu, et qui croit nous rendre compte du vice et de la vertu en les attribuant purement à l’ignorance et au savoir ? Avec un peu de complaisance, j’admets que mon intelligence pourra m’enseigner à reconnaître la règle de conduite qui serait la plus favorable au bien public ; mais toutes les connaissances du monde ne suffiront jamais pour créer en moi l’amour du bien public, la volonté d’accomplir aux dépens de ma propre satisfaction ce qui me semble le meilleur pour mes voisins. Quel est le mobile qui règne au fond de mon cœur ? Là est tout le secret du parti que je prendrai et de l’emploi même que je ferai de mon intelligence. Ignorant ou savant, si c’est l’amour de mon agrément personnel qui l’emporte en moi, je n’userai de mon petit ou de mon gros savoir que pour tâcher de choisir habilement les moyens les plus propres à contenter mon désir. En réalité donc, la question à laquelle M. Smith croyait avoir répondu attend encore de lui une réponse ; il nous reste toujours à savoir comment nous arriverons à cet amour du bien public dont la science ne nous a pas rapprochés d’un pas.

Serait-ce qu’au fond l’auteur de Gravenhurst ne nous laisse que l’égoïsme pour nous mener au but ? Je ne le prétendrai pas précisément, quoique je ne sache guère que nous y gagnions grand’chose. M. Smith évidemment accorde à la nature humaine des instincts généreux aussi bien que des instincts égoïstes, des besoins d’affection aussi bien que des passions malfaisantes ; mais le sentiment du devoir, suivant lui, le je ne sais quoi qui a l’air de nous enjoindre la conduite que nous jugeons la meilleure, est simplement une crainte éveillée par la menace d’une loi ou par la perspective d’un châtiment. Au total, s’il échappe à la théorie de l’égoïsme absolu, ce n’est qu’en tombant à moitié dans celle de la vertu phalanstérienne, qui n’est que l’attrait de céder aux bons penchans ; ce n’est surtout qu’en donnant une fabuleuse prépondérance à l’intelligence, qui en