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dant un long voyage que fit l’illustre compositeur, ont été accueillies en Allemagne avec faveur. Nous venons de les lire aussi avec un certain plaisir, et comme elles contiennent de nombreuses révélations sur les travaux, sur les idées, les sentimens et les vues de ce musicien éminent mort à la fleur de l’âge, comme Mozart, nous avons pensé que les lecteurs de la Revue nous sauraient gré de les entretenir d’un homme qui occupe une si grande place dans l’histoire de la musique moderne.

On sait que Félix Mendelssohn-Bartholdy est ne à Berlin le 3 février 1809, d’une famille israélite qui était dans le commerce. Moïse Mendelssohn, le philosophe platonicien, était son grand-père. De très bonne heure, le jeune Mendelssohn montra d’heureuses dispositions pour la musique ; il fut confié aux soins de Zelter, un maître ingénieux qui lui donna des leçons d’harmonie et de contre-point. L’élève si bien doué fit des progrès rapides, devint un pianiste excellent, et il eut une enfance épanouie et pleine d’enchantement. Ses succès dans le monde furent précoces et éclatans, et tout ce qui l’entourait lui présageait une carrière brillante. Dès l’année 1824, Mendelssohn publia quelques œuvres de sa composition, et il renouvela cette tentative avec plus d’efforts en 1827, où il fit représenter à Berlin un opéra en trois actes sur le sujet des Noces de Gamache. Cette forme de la musique dramatique, qui n’a cessé de préoccuper Mendelssohn, ne devait jamais lui être favorable. C’est en 1829 que Mendelssohn, âgé de vingt ans, quitta sa ville natale et l’excellente famille où sa noble nature était heureusement éclose, et qu’il entreprit un long voyage à travers l’Allemagne, l’Italie, la France et l’Angleterre pour connaître le monde et développer ses instincts. Ce sont les impressions de ce voyage qui dura trois ans que racontent avec charme les lettres qui vont nous occuper. Nous suivrons Mendelssohn et ferons ressortir, dans ses confidences et ses épanchemens, les traits qui nous paraîtront révéler un coin curieux de la personnalité aimante de ce grand artiste.

La première lettre est écrite de Weimar, où il arrive dans le mois de mai 1830. Mendelssohn est reçu par Goethe avec la bienveillance souveraine qui caractérisait ce grand génie. Le jeune Mendelssohn plaît beaucoup au poète, qui, tous les matins, lui fait jouer du piano devant lui. « Il me questionne beaucoup, écrit Mendelssohn, sur le caractère et la date du morceau que j’exécute, et il faut que je lui réponde immédiatement et avec précision. Il ne voulait d’abord rién entendre de Beethoven ; mais, après que je lui eus joué la première partie de la symphonie en ut mineur, il me dit : « Cela émeut, cela est grand… imposant ! » Et après avoir essayé de redire entre ses dents un des motifs de la symphonie : « C’est très grand ! ajouta-t-il, et on devrait craindre que le développement d’une pareille idée ne fit écrouler la maison où on l’exécute. » — « Il est plein d’aménité pour moi (nous laissons encore parler Mendelssohn). Tous les jours je dîne à sa table, et après le dîner il m’emmène dans son cabinet, où il me questionne sur mes projets d’avenir. Il me parle d’art, de théâtre, de poésie, de l’Hernani de Victor Hugo, de Lamartine, et beaucoup des jolies femmes. — Jeune homme, me dit-il un soir, il faut vivre avec les femmes, il faut chercher à leur plaire. »

Quelques jours avant que Mendelssohn partît de Weimar, Goethe lui