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vers cette idée, que, si j’avais un libretto sous la main, l’opéra serait fait demain. »

À Munich, où Mendelssohn se trouve pour la seconde fois en octobre 1831, il donne des concerts où il fait entendre plusieurs œuvres de sa composition, entre autres le Songe d’une Nuit d’été, et un concerto pour piano et orchestre qu’il exécute lui-même. Il obtient le plus grand succès comme compositeur et comme virtuose. « Lorsque je me mis au piano, dit-il, pour improviser sur le thème de l’air Non più andrai que m’avait donné le roi, j’eus un peu d’émotion. Dès la fin du concert, je commençai à penser que c’est une folie de se produire ainsi devant le public, et j’ai pris la résolution de ne plus tenter la fortune de cette sotte manière. »

C’est dans les derniers jours de l’année 1831 que Mendelssohn arrive à Paris. Ce fut pour sa carrière d’artiste un moment décisif. Accueilli avec empressement par tous les musiciens et par tous les hommes distingués de la capitale, Mendelssohn eut à choisir entre les différentes voies qui s’offraient à lui pour conquérir la gloire qu’il ambitionnait. Restera-t-il à Paris, s’établira-t-il à Londres, les deux plus grands foyers de la civilisation du monde, ou bien retournera-t-il dans sa chère Allemagne, où l’attirent ses souvenirs, ses affections de famille et ses instincts de poésie ? Telle est la question qu’il se pose pendant qu’il obtient de si beaux succès à la Société des Concerts et dans les plus grands salons de Paris. Comme l’avait fait Mozart un siècle avant, dans des conditions bien moins heureuses, Mendelssohn tranchera la question en faveur de sa patrie, et il dédaignera les faveurs d’un public séduisant qui cache un si grand goût et un si grand sens sous des apparences de frivolité. En attendant, le jeune compositeur allemand, qui parle le français comme il parle l’anglais et l’italien, court partout, à la chambre des pairs, à la chambre des députés, dans les musées, dans les théâtres, et il se plonge dans le bruit joyeux de la grande ville. Il s’étonne qu’on s’occupe autant de politique dans la capitale d’un grand pays qui vient de subir une révolution, et qu’on y parle d’autre chose que de musique. O naïveté d’un noble et grand artiste ! « Je vis, écrit-il à sa sœur Rebecca, comme un païen. Le soir et l’après-dîner je suis constamment dehors. Aujourd’hui j’ai été chez Baillot ; après-demain je vais chez les Fould, mardi chez Hiller, mercredi chez le peintre Gérard, et ainsi de suite pendant toute la semaine. J’ai rendu visite aussi au grognon Cherubini et à l’aimable Henri Herz. A propos, s’écrie-t-il, dois-je me faire lithographier des pieds à la tête comme on me le propose ? Tu diras ce que tu voudras, mais je n’en ferai rien. J’ai juré depuis longtemps qu’on ne verrait jamais ma figure accrochée à la vitrine d’un marchand d’estampes… Hier j’ai passé une délicieuse soirée chez Baillot. Cet artiste, qui joue admirablement du violon, réunit autour de lui un public d’élite. On y a exécuté mon quatuor en mi majeur avec une rare perfection. On a demandé ensuite une sonate de Bach, et nous avons choisi celle en la majeur ; puis j’ai improvisé sur le piano avec assez de bonheur. »

Dans une autre lettre adressée à sa sœur Fanny, Mendelssohn revient sur les incidens de la vie parisienne, et il peint avec assez de vérité l’état où se trouvaient les arts en ce moment difficile de crise sociale et politique.