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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/107

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Armstrong. En ce qui le concerne, nous nous en rapportons pleinement au sentiment d’admiration que l’ingénieuse fertilité de ses combinaisons a excité chez tous les hommes spéciaux, et nous ne saurions rendre un trop sincère hommage à la modestie qu’il a toujours montrée lorsque le vent de la faveur populaire semblait emplir ses voiles, à la loyauté de son langage toutes les fois qu’il a eu à parler en public, au libéralisme des idées qu’il a exposées tout récemment encore lorsque dans une question personnelle il demandait la réforme des lois relatives aux brevets d’invention. Tout cela fait grand honneur à sir William Armstrong, mais a-t-il fait un canon supérieur aux autres ? et s’il ne l’a pas fait, ne devons-nous pas craindre un de ces retours de mauvaise humeur qui portent les Anglais à s’en prendre à nous de leurs mécomptes, comme ils l’ont fait à propos des vaisseaux à vapeur et des frégates cuirassées ?

Le canon anglais et le canon français ont figuré ensemble dans la dernière expédition contre la Chine ; lequel a le mieux fait ? Dès le début de la campagne, les Anglais, on doit se le rappeler, se sont empressés de proclamer la supériorité de leurs armes ; mais ensuite on a pu remarquer que tous les éloges adressés d’abord au canon Armstrong allaient toujours en s’affaiblissant, et ont même fini par suspendre tout à fait leur concert. Pourquoi ? C’est que la loyauté anglaise a reculé devant des affirmations dont les faits ont peu à peu démontré l’inexactitude. À la prise des forts de Ta-kou, qui fournit la première occasion aux deux artilleries de se montrer, les Anglais attaquaient la gauche de l’ennemi, et les Français la droite ; nous agissions à d’assez grandes distances les uns des autres, et, comme il arrive toujours en pareil cas, on s’est attribué chacun et de bonne foi la plus grosse part dans le succès obtenu. Les journaux anglais, en rendant compte de ce fait d’armes, étaient pour la plupart remplis de chants de triomphe en l’honneur du canon Armstrong. Le Times se distingua entre tous dans cette occasion, et la preuve qu’il le fit avec la meilleure foi du monde, c’est que la lettre où son correspondant annonçait avec tant d’assurance l’infériorité de notre artillerie commençait par exposer avec une adorable candeur comment, dès la première marche, les batteries de campagne des Anglais n’avaient pas pu suivre le mouvement de l’armée alliée, et avaient dû doubler leurs attelages en renvoyant une partie de leurs caissons à Peh-tang, tandis que nos canons et nos caissons, traînés chacun par quatre petits chevaux japonais à peine dressés, suivaient partout la troupe avec une aisance qui excitait l’admiration naïve de l’écrivain anglais. Si l’infortuné M. Bowlby eût vécu, s’il avait pu accompagner les alliés dans leur marche sur Pékin, surtout s’il avait assisté à la bataille de Pali-kao le 21 septembre 1860,