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pas de noter expressément : « Et bien sacies que cil lions fu contrefais al vif. » Enfin l’étude ou plutôt l’observation des monumens antiques paraît d’une manière très remarquable dans le tombeau d’un «Sarrazin» c’est-à-dire d’un païen (pl. IX), et dans un homme revêtu d’une chlamyde (pl. LVII), qui ressemble à un personnage des comédies de Térence. Il y a aussi quelques esquisses d’après des modèles byzantins. Villard, on le voit, prend de toutes mains. L’activité extrême, l’audace, l’esprit d’innovation qui caractérisent les artistes de son époque ne se sentent nulle part mieux qu’ici. On dirait par momens Léonard de Vinci ou Michel-Ange, à voir cette ébullition d’idées hardies, cette fièvre d’enchérir sur les autres, cette variété naïve dans les objets de la curiosité. On se croirait à la veille d’une renaissance, et l’on était en réalité à la veille d’une décadence. Pour s’expliquer ce phénomène singulier, il faut se rendre compte des origines de l’art gothique, de son principe, de sa tendance et du fatal principe de dissolution qu’il contenait en son sein.

Grâce aux excellentes recherches de MM. Lassus, Viollet-le-Duc, Vitet, Mérimée, Quicherat, la date de l’invention du style gothique est maintenant bien connue. Les parties de Saint-Denis bâties par Suger (1137-1140) sont encore plus romanes que gothiques. La cathédrale de Chartres, commencée de 1140 à 1145, offre au contraire très peu de style roman. Les cathédrales de Noyon, de Senlis, commencées vers 1150, sont décidément dans le style nouveau, quoique montrant encore plus d’un lien de transition avec les habitudes anciennes. Les cathédrales de Laon, de Paris, de Soissons, l’abbaye de Fécamp, postérieures de dix ou vingt ans, ne gardent plus du roman que des traces presque imperceptibles. C’est donc vers 1150 qu’il convient de placer le moment où le style nouveau apparaît avec ses caractères distinctifs. Encore de savans critiques, tels que M. Quicherat, pensent-ils que cette date est trop moderne, et que, pour trouver la véritable origine du style ogival, il faut remonter assez près de l’an 1100.

Le pays où il se produisit peut être déterminé avec non moins de précision. Ce fut sans contredit en France, puisque notre pays présente des monumens gothiques au moins cent ans avant tous les autres. Ce ne fut ni dans le midi, ni dans le centre de la France, puisque ce style n’y fut transporté que tard, et n’y prit jamais de fortes racines; ce ne fut pas en Bretagne, où l’on ne trouve aucun monument gothique antérieur au XIVe siècle, et où tous ces édifices ont été bâtis par des étrangers. Ce ne fut ni en Normandie, ni en Lorraine, ni en Flandre, où ce style fut introduit à une époque relativement moderne. Ce fut sans contredit dans l’Ile-de-France et la région environnante, le Vexin, le Valois, le Beauvoisis, une partie