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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/268

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serviteurs (dont la plupart étaient déjà vêtus en deuil) qu’ils eussent à changer de vêtement, ce qu’ils firent, et chacun se para comme il fut, convertissant notre pleur en allégresse. Quoi que ce soit, tout le monde a su le commandement que j’avais, et que j’en ai changé la forme à l’appétit d’autrui, tellement que cela ne laissera de produire le même effet dans l’esprit des hommes, et peut-être avec plus de vertu, encore que peu de personnes osent faire ou fassent mention de la défunte reine, étant sa mémoire et tous ses gestes tant recommandables ensevelis avec sa personne. Je supplie votre majesté me pardonner si en cela j’ai manqué à ses commandemens, lesquels je n’ai pas estimé devoir être si absolus, en pareille charge qu’en celle dont il lui a plu de m’honorer, que les occasions et les accidens inopinés n’y puissent changer quelque chose, principalement quand elle n’est point substantielle, et plutôt pour la bienséance que pour la nécessité ou utilité qui en revienne. Si j’ai failli, je me soumets au châtiment, si non que, par le reste de mes procédures et par ce qui réussira de ma négociation, il apparaisse que j’ai prudemment fait. »

Jacques accueillit avec de grandes marques de satisfaction l’ambassadeur et les propositions de Henri. Il prenait plaisir à disserter avec Sully sur toutes les combinaisons et toutes les chances de la politique des divers états, et se répandait en protestations d’attachement à l’alliance française, la regardant, disait-il, comme également importante pour l’Angleterre et pour lui-même dans l’hypothèse de la paix, qu’il préférait infiniment, et dans celle de la guerre, toujours possible avec l’Espagne. Sur un point cependant, le double mariage des enfans de Henri IV avec les siens, il restait fort réservé, et il n’en avait pas ouvert la bouche à Sully, quand le 29 juin il le fit inviter à dîner, pour le lendemain 30, à Greenwich, avec toute la noblesse qui l’avait accompagné. « Le commencement de nos discours, écrivait Sully à son roi en lui rendant compte de cette journée[1], fut encore de la chasse et de la chaleur qu’il faisait alors, non ordinaire en Angleterre. Après les discours communs, le roi se mit à parler de la feue reine d’Angleterre avec un peu de mépris, et à faire grand cas de la dextérité dont il usait pour la manier, par le moyen de ses conseillers qu’il se vantait avoir tous gagnés dès son vivant, en sorte qu’ils ne faisaient que ce qu’il voulait, tellement que ce n’était pas de cette heure qu’il gouvernait l’Angleterre, mais plusieurs années avant la mort de la feue reine, dont la mémoire ne lui est point trop agréable. Après, demandant du vin, où il ne met jamais d’eau, il commença à me dire qu’il vou-

  1. Le 6 juillet 1603, OEconomies royales, t. IV, p. 381.