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tueuse et hardiment tourmentée, soit qu’on laisse errer sa vue jusqu’aux plus lointaine horizons, on découvre successivement les plages de Marathon, la chaîne des Thermopyles, l’île de Salamine, où la Grèce fut trois fois sauvée; le gracieux Pentélique aux marbres immortels; les hauteurs de la Mégaride, encore teintes du sang des Turcs de Kourchid-Pacha et de Dram-Ali; Corinthe, si renommée entre les plus célèbres villes de la Grèce, le dernier boulevard des libertés helléniques contre l’ambition romaine, et dont il ne reste plus maintenant que quelques masures à demi détruites; la verdoyante Égine et la blanche colonnade du temple de Jupiter; Athènes enfin avec ses jardins royaux, son moderne palais et les fameuses ruines qui la couronnent. Au sud s’étendent jusqu’à la mer les croupes arrondies du Laurium, dont les riches mines d’argent alimentaient au temps de Xénophon le trésor public, et d’où l’on ne songe plus maintenant à extraire le précieux métal; elles s’abaissent graduellement et se terminent au cap Sunium, où la jeunesse de l’Attique venait recevoir les enseignemens de Platon. Les flancs noirs de l’Hymette sont sillonnés, du côté de l’Attique, par deux ou trois déchirures qui, réunies au bas de la montagne, forment une crevasse plus large et plus profonde : ce sont les affluens du charmant Hissus, qui baignait autrefois les murs d’Athènes et portait aux campagnes environnantes l’humide et fécondant tribut des forêts. Aujourd’hui l’Hissus n’est plus qu’un grand ravin, affreusement desséché. On dirait qu’il n’a plus de larmes à répandre sur les infortunes de la Grèce, et pourtant aux grandes épreuves, aux luttes héroïques dont le souvenir éveille partout un classique enthousiasme, ont succédé pour ce noble pays des difficultés d’un ordre nouveau, non moins dignes peut-être d’attirer l’attention sympathique du monde civilisé. L’état de l’Orient en général, de l’empire turc en particulier, suffirait d’ailleurs à expliquer notre sollicitude pour la Grèce. Il est impossible de ne pas voir que les bases de la domination ottomane en Europe sont aujourd’hui chancelantes, et l’on ne saurait nier que les rivalités européennes n’en soient le plus ferme appui. Que les puissances chrétiennes consentissent à se parler à cœur ouvert et à s’entendre de bonne amitié, qu’un congrès chargé de résoudre les questions d’Orient se rassemblât à Paris, à Londres ou à Saint-Pétersbourg, et la signature de quelques plénipotentiaires suffirait pour modifier profondément les proportions de l’édifice social et politique dont les victoires de Mahomet II ont jeté, il y a quatre siècles, les puissantes assises sur les rives septentrionales du Bosphore.

Les destinées européennes de l’empire turc intéressent et engagent dans une large mesure l’honneur et la responsabilité des