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flexion et l’examen l’avaient fait trouver trop pesante, — les finances dans un tel désarroi que l’acte diplomatique auquel était due la nouvelle royauté stipulait un emprunt en même temps que l’établissement du trône, les troupes nationales si effrayantes par leur indiscipline que le pays tout entier sous les armes était cependant incapable de produire une armée, et que l’arrêt des puissances protectrices le condamnait à payer lui-même un corps de soldats étrangers, en un mot l’impuissance, la colère et l’humiliation, tel était, malgré les nobles sacrifices des guerres de l’indépendance et l’incontestable habileté de Capo-d’Istria, le désastreux bilan des administrations qui avaient précédé le gouvernement royal en Grèce.

A tant de périls intérieurs contre lesquels le nouveau pouvoir allait entrer courageusement en lutte, il faut ajouter les graves embarras que devaient naturellement lui créer les exigences de ses bienfaiteurs et les devoirs de la gratitude. Ce ne fut pas dans des vues absolument désintéressées et par pure chevalerie que les puissances européennes accordèrent à la cause hellénique le concours de leurs sympathies. En lui prêtant l’appui de ses orateurs, de sa presse, de sa diplomatie ou de ses soldats, chacune d’elles obéissait bien plus aux traditions de sa politique nationale qu’aux entraînemens de l’époque, et à l’heure qu’il est, malgré la sincérité des intentions, malgré la loyauté des explications mutuellement données, on n’est pas bien sûr que les gouvernemens aient le pouvoir de consacrer uniquement en Grèce leurs communs efforts à l’œuvre si noblement utile de sa régénération. La France, l’Angleterre et la Russie ont concouru toutes trois à l’indépendance de la Grèce, elles y ont travaillé isolément ou de concert, mais non par des procédés semblables ni dans des vues identiques. La France a voulu que la Grèce fut libre, et elle l’a secourue de ses soldats et de son argent parce qu’elle protège de temps immémorial en Orient la civilisation chrétienne contre les empiétemens du mahométisme, parce que l’ambition de la Russie lui faisait peur et qu’elle ne voulait pas que la Grèce devint une province russe, ou tout au moins une principauté turque sous la protection de la Russie, parce qu’elle sait consentir sans hésiter à tous les sacrifices que lui demandent ses généreuses aspirations.

L’Angleterre redoutait comme la France l’agrandissement de la Russie, mais elle craignait en même temps le développement de l’influence française en Orient, et la concurrence que la marine grecque pouvait faire un jour à celle des Iles-Ioniennes. Elle eût tout risqué pour empêcher que la Grèce ne devînt russe, mais elle n’eût point voulu affaiblir la Turquie, dont l’intégrité, toute compromise qu’elle soit, est une garantie pour ses ombrageuses méfiances. De là ce mauvais vouloir auquel l’Autriche s’était asso-