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denrée principale, mais c’est aussi l’esclavage qui a soudain mis un terme à la culture du cotonnier dans les états confédérés et qui peut de même arrêter celle du cafier dans le Brésil. Il est temps d’y songer : les planteurs de l’empire sud-américain doivent comprendre que la concentration de tous les capitaux, de toutes les forces nationales, dans une production qui dépend exclusivement du travail servile, met en péril la propriété publique tout entière. Actuellement le Brésil n’a qu’une agriculture incomplète, puisqu’il s’adonne surtout aux productions de luxe, et ce pays si riche et si admirablement fertile est obligé d’acheter aux États-Unis, en Angleterre, dans l’Uruguay, une grande partie des denrées qui servent à l’alimentation de ses habitans : sur un grand nombre de plantations, les nègres doivent se passer de manioc, de riz, de haricots, et récemment encore on a vu dans les provinces exclusivement cultivées par le travail esclave, Bahia, Pernambuco, Maranhaõ, des populations entières se traîner sur les chemins en mendiant quelque nourriture[1]. Que la sécheresse, la guerre, des dissensions intérieures, une révolution servile, viennent forcer le pays à compter sur lui seul, et, le monopole du café disparaissant, le Brésil n’a plus pour unique moyen de salut national qu’une exploitation rudimentaire du sol. Et combien d’années ne faudrait-il pas au travail libre avant qu’il pût rendre leur antique fertilité aux plantations appauvries par cette culture brutale que les Brésiliens décorent du nom de lavoura grande ! car « l’institution patriarcale » utilise la terre et l’homme avec la même barbarie, et ne leur rend jamais rien en échange de leurs services; elle brûle le sol où elle passe.

Fatal pour l’agriculture vraiment digne de ce nom, l’esclavage des nègres brésiliens ne l’a pas été moins pour les diverses branches du travail national. Aujourd’hui le commerce extérieur de l’empire est entièrement monopolisé par des étrangers : malgré l’énorme développement des côtes du Brésil et l’excellence de leurs ports, les descendans des Portugais n’ont pas hérité du génie entreprenant de leurs ancêtres, et se bornent à longer leurs rivages sans jamais s’aventurer à travers l’Océan. Quant à leur industrie, elle est presque nulle. Une statistique officielle constate qu’en 1859 11,698 Brésiliens et 8,339 étrangers payaient patente pour avoir le droit d’exercer un commerce, une industrie ou un métier; mais si l’on défalque du nombre des nationaux 1,309 notaires, 626 avocats et 8,371 aubergistes, on voit que l’industrie brésilienne proprement dite compte, dans l’empire même, cinq fois moins de représentans que l’industrie étrangère. Encore faut-il ajouter qu’une forte proportion des paten-

  1. La valeur annuelle des substances alimentaires importées au Brésil s’élève au quart de son exportation. Le reste de l’importation consiste presque uniquement en objets manufacturés et en articles de luxe.