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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/402

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rable, ils comprenaient enfin combien il est dur de ne pas débarquer en qualité d’hommes libres sur un sol étranger. Accueillis par un maître soupçonneux qui voyait en eux un capital exposé aux diverses chances de la mort, de la maladie ou de la désertion, écrasés de dettes avant d’avoir coupé une branche ou retourné une motte de terre, ils se mettaient à l’ouvrage avec la conscience de ne pas travailler pour eux-mêmes. Dès le premier jour, ils devaient abandonner une forte partie de leur salaire, ou bien, s’ils étaient métayers, aggraver leur dette par de nouveaux emprunts. Ils ne recevaient de nourriture que sous la condition d’en payer l’intérêt au taux de 6 pour 100 par an; si quelque difficulté s’élevait entre eux et le propriétaire, elle était résolue sans appel par le verdict d’un tribunal entièrement composé d’amis ou de créatures du planteur. Pressés par la nécessité, les pauvres émigrans n’avaient pas même le temps de se préparer à un climat où tout leur était hostile : le soleil brûlant, l’ombrage de la forêt, la fraîcheur des nuits, les miasmes fiévreux du sol, l’humidité des marécages. Bientôt les fièvres d’acclimatation venaient les assaillir, et si la souffrance, jointe à la nostalgie et à la nouveauté de leur situation, diminuait leur courage, ils risquaient fort de périr misérablement. Ceux qui ne succombaient pas se relevaient plus endettés qu’auparavant, et parfois ils devaient tristement comparer leur sort à celui des nègres, leurs compagnons de servitude. Ceux qui mouraient laissaient après eux des fils qui, en vertu du contrat de la parceria, étaient solidaires des dettes paternelles et devaient travailler pendant de longues années pour rembourser les avances du planteur. Bien faible est la proportion des colons qui ont pu, à force d’énergie, de constance et d’habileté, se libérer autrement que par la fuite.

La première tentative de colonisation au moyen de travailleurs libres importés aux frais des propriétaires eut lieu en 1819, deux ans avant que le Brésil ne se détachât du Portugal. Près de dix-sept cents paysans suisses du canton de Fribourg s’établirent dans la vallée du Parahyba-do-Sul, au nord de Rio-Janeiro, et fondèrent une colonie qu’ils appelèrent Novo-Friburgo, en souvenir de leur patrie. Le choix de la localité était heureux, puisque Novo-Friburgo est situé à l’extrême limite méridionale de la zone torride, à une assez grande élévation au-dessus du niveau de la mer et dans le voisinage d’une grande ville. Cependant, dix ans après l’arrivée des colons, leur effectif était diminué déjà de plus d’un tiers par la mort ou par la désertion, et maintenant Novo-Friburgo, comme les colonies voisines, est une ville complètement brésilienne, ne renfermant plus qu’un petit nombre de familles fribourgeoises. En 1845, une nouvelle tentative, faite sous les auspices mêmes du gouvernement brésilien, amena plusieurs milliers de Badois et de Bavarois du Palatinat à