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s’était flatté, pendant les erreurs d’un long règne, d’avoir préparé les ressources nécessaires à la conquête de l’Orient.

On ne saurait donc pas aujourd’hui être une puissance militaire ni surtout une puissance maritime sans argent et sans industrie, on ne le saurait pas être non plus sans avoir à son service une population maritime pour y recruter le personnel de son armée navale. Autrement dit, il n’y a pas de marine sans marins. Il semble qu’il serait presque humiliant pour le sens commun d’insister sur cet aphorisme, que reconnaît d’ailleurs instinctivement le bon sens du genre humain. Les États-Unis, qui n’ont jamais eu quatre-vingts bâtimens de guerre armés ou même en mesure d’être armés, ont toujours passé pour être une grande puissance maritime, parce qu’on savait cependant qu’ils avaient de l’argent, de l’industrie et des matelots. La guerre de 1812 et celle qu’ils font aujourd’hui ont donné ou donnent entièrement gain de cause à cette manière de voir. Il peut être juste de croire que le matériel naval qui sert aujourd’hui à leurs opérations ne pourrait pas soutenir la comparaison avec celui que possèdent la France et l’Angleterre ; mais ce n’est peut-être pas ainsi qu’il convient de considérer les choses. Ce matériel, quel qu’il soit, suffit à atteindre le but pour lequel il a été préparé ; c’est là le point important, et la rapidité avec laquelle il a été improvisé est une preuve de plus de la puissance des États-Unis. Une autre preuve, c’est la facilité avec laquelle il a été armé au personnel, ce que l’on n’aurait pas pu faire si l’on n’avait eu par devers soi une population de marins où puiser, et Dieu sait où en seraient les chances de la guerre civile, si les états du nord avaient eu à faire l’éducation de leurs matelots pour déclarer le blocus et surtout pour le maintenir ! Où en seraient-ils sans les canonnières et les remorqueurs qui ont transporté leurs troupes, qui les ont nourries, qui les ont sauvées, à la bataille de Pittsburg-Landing par exemple, qui ont forcé les confédérés à évacuer sans combat les lignes d’Yorktown ? C’est encore un exemple à citer de l’immensité des avantages que le commerce et l’industrie procurent pendant la guerre. Les états du sud sont presque exclusivement agricoles, le nord est commerçant, industriel et marin.

Par contre, est-il personne qui ait jamais compté la Russie parmi les puissances maritimes ? Même pendant la paix, même en étant le pays de production par excellence de la plupart des matières qui pendant longtemps ont été les matières premières des constructions navales, même avec un gros budget et des finances en assez bon ordre, même avec des arsenaux qui ne le cédaient pas à ceux des autres nations, les Russes, ni sous Pierre le Grand, ni sous Catherine II, ni sous l’empereur Nicolas, qui s’était donné tant de peine pour avoir une flotte, n’ont jamais passé pour être une puissance