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compromis, engagé quand on est arrivé au pouvoir, et ce sont les autres qui ont à s’expliquer sur celui qu’on avait proposé soi-même.

Lorsque l’on cause de ce sujet avec les Anglais, ils vous disent souvent que sur les six personnages qui sont qualifiés de lords de l’amirauté, il en est un désigné sous le nom de premier lord, qui a officiellement autorité sur les autres, et qui est responsable devant le parlement. Même en théorie, cela n’est exact que jusqu’à un certain point, car il faut la présence de trois membres pour constituer un bureau autorisé à prendre des décisions, et cela ne peut pas du tout être vrai dans la pratique. Le premier lord, puisque premier lord il y a, est un personnage politique qui n’appartient jamais lui-même à la marine, et qui est par conséquent presque toujours fort peu compétent sur les questions qu’il est censé avoir à décider. Le voyez-vous assis en conseil autour du tapis vert avec ses collègues, qui, à l’exception d’un seul, sont tous gens du métier, et qui l’accablent sous un déluge d’objections techniques, si par hasard il veut s’aviser de faire ce qui ne leur convient pas? Ils le mènent, comme on dit vulgairement, ou bien ils le réduisent à l’impuissance; puis, quand ils ont produit ce beau travail sur l’esprit du premier lord, à quoi voulez-vous qu’ils aboutissent eux-mêmes? Connaissez-vous quatre médecins qui soient d’accord sur la manière de traiter une maladie, quatre théologiens sur une matière philosophique, quatre ingénieurs sur le problème de la distribution des eaux dans la ville de Paris? pourquoi espérer que quatre capitaines de vaisseau seront d’accord sur une question de discipline, d’administration, d’hygiène, d’armement, de construction? On lève donc la séance, on renvoie la discussion à un autre jour, et, en attendant la solution qui ne vient pas, la routine des subalternes continue à dépenser en souveraine l’argent que fournit le public, les sommes énormes que de temps à autre on est obligé de lui demander lorsque, après avoir longtemps sommeillé, on s’aperçoit qu’il faut reconstruire la marine, ou regagner au prix des efforts les plus coûteux l’avance que l’on a laissé prendre aux autres.

Par une bizarrerie qui n’est pas moins grande que le reste, en même temps que l’on donnait plusieurs chefs à une institution militaire, on s’arrangeait de telle sorte que ces chers étaient pris exclusivement dans une seule des nombreuses spécialités dont l’ensemble constitue l’établissement naval. Sur les six personnes qui composent le bureau, deux sont membres du parlement et n’appartiennent pas à la marine; les quatre autres sont exclusivement des officiers de vaisseau, des officiers à épaulettes, comme nous dirions. Ils ont la majorité dans le bureau ; de fait, ils y règnent en maîtres. Administration proprement dite, travaux hydrauliques, construction navale, artillerie, santé, tous les autres services en sont rigoureusement