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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/448

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plant avec admiration le manoir seigneurial, et il se dit que la journée est rude, mais que ses fils pourront, eux aussi, être des ducs ou des marquis, s’il a lui-même assez de bon sens, d’ordre et d’industrie pour les faire élever convenablement, et si, eux, ils sont capables de se faire leur place au soleil. La scène est tout à fait anglaise, comme la devise : Help yourself, sir; « aidez-vous vous-même, monsieur. » On sous-entend le complément nécessaire de la phrase, qui doit être : « car vous avez la liberté de le faire. » C’est chose trop évidente pour qu’il soit nécessaire de l’énoncer. Les faits surabondent pour le démontrer. Nous n’en citerons qu’un seul, mais qui aura sans doute sa valeur, même aux yeux les plus prévenus : c’est que, bien que l’Angleterre n’ait pas écrit dans sa charte l’article sacramentel qui figure dans tant d’autres constitutions, pour garantir aux citoyens qu’ils sont tous admissibles aux fonctions publiques, l’Angleterre est aujourd’hui le pays de l’Europe et du monde qui met au concours le plus grand nombre de places ou d’emplois. Le concours n’est pas encore la loi d’entrée dans tous les corps militaires, quoiqu’il soit adopté déjà pour l’artillerie, pour le génie, pour l’état-major; mais il s’applique à toutes les carrières de l’ordre civil qui peuvent se prêter à ce mode de recrutement de leur personnel.

Ceux qui ne veulent pas reconnaître que la société anglaise est probablement dans l’infinie variété de ses manifestations la société la plus unie sous le rapport moral qui existe aujourd’hui ne s’aperçoivent pas que pour soutenir leur manière de voir ils sont obligés d’admettre une prémisse assez étrange, à savoir que la liberté, qui est la meilleure preuve comme elle est la plus forte garantie de cette union, n’existe pas en Angleterre. En effet, ou il faut nier résolument l’existence de cette liberté, ce qui peut passer pour un paradoxe plus que hardi, ou bien il faut confesser que, s’il était dans ce pays des causes de désunion, des opprimés ou seulement des gens ayant des griefs sérieux à faire valoir contre les principes sur lesquels repose l’ordre social et politique, les symptômes de cette situation ne sauraient manquer de se manifester, grâce à la liberté de parole et d’action qui est le privilège de chaque citoyen, car dans ce pays on appelle privilèges des choses et des droits qui appartiennent à tout le monde. Or il ne se révèle aucun de ces symptômes. Sans doute il y a des partis en Angleterre; mais ils ne ressemblent en rien à ce que l’on connaît ailleurs sous le même nom. Sur le continent, les partis sont des agglomérations d’individus, ou, ce qui est plus dangereux encore, des classes qui ont chacune des manières différentes et souvent très opposées de concevoir les principes du gouvernement et de l’ordre social. Ils sont représentés par des hommes, parce qu’il faut bien que les choses