Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/469

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’année même de la mort de Louis XIV, et semblait annoncer une société nouvelle, tout en gardant de l’ancienne certaines traditions de goût et de bon sens, et l’excellent style facile et nerveux qui rend si parfaitement la pensée et reste classique en tous les temps. Lesage, peignant les mœurs d’une époque, mais avec ce coup d’œil profond et sagace qui pénètre le cœur humain, a fait un livre éternellement vrai et toujours nouveau. On lui reproche de voir le mal avec trop d’indulgence et de n’avoir que la morale de l’expérience ; peut-être en effet représente-t-il avec trop peu de sévérité les mauvais côtés de la société, mais peut-être aussi a-t-il voulu placer devant les yeux de son lecteur ce tableau de la vie humaine, ainsi que dans la réalité il se développe devant nos yeux, en laissant au cœur et à la conscience le soin d’en tirer les conclusions morales. Lesage n’a pas, il est vrai, les vertueuses colères d’Alceste, les haines vigoureuses du duc de Saint-Simon; cependant on sent l’âme d’un honnête homme au fond de ces récits, dont l’immoralité, sans grossièreté, peint plus particulièrement ces dernières années du règne de Louis XIV, où certaines mauvaises actions passaient pour du savoir-faire et de l’habileté. Dans Gil Blas, et nous n’insisterons pas davantage, car devant ce facile chef-d’œuvre on est trop disposé à s’arrêter longtemps, l’impression finale est sérieuse et salutaire. Il y a plus que de la philosophie pratique dans le calme des derniers chapitres, il y a un sentiment de quiétude morale qui corrige, ce nous semble, par le contraste, ce que l’agitation des passions humaines avait jeté de trouble dans notre esprit. Les autres romans de Lesage, le Diable boiteux, qui parut en 1707, le Bachelier de Salamanque, Guzman d’Alfarache, rappellent le chef-d’œuvre, sans affaiblir son caractère original. Tous ont emprunté à l’Espagne leur sujet, leur titre, quelques détails de la composition, notamment celui des épisodes étrangers au sujet principal; mais l’esprit en est toujours éminemment français.

Nous sommes tenté de rapprocher le léger et spirituel Hamilton du président de Montesquieu, parce que dans ces deux éminens satiristes la société trouvait ses deux détracteurs, mais l’un frivole très naturellement, l’autre n’ayant que les dehors de la frivolité. Hamilton, grand seigneur du XVIIe siècle, qui touche à la régence, donne à l’immoralité si grand air, tant de grâce à la fatuité, que l’on semble pédant en se montrant plus sévère que l’aimable esprit qui condescend agréablement à nous amuser du piquant récit des intrigues de cour. Cependant au déclin de ce grand règne, esclave des bienséances, il était plus qu’imprudent de montrer des personnes illustres dans un déshabillé qui, leur ôtant tout prestige, mettait pour ainsi dire à nu les vices de cette aristocratie, trop disposée alors à oublier que,