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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/488

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Rumeurs des révolutions,
Démagogie ou dictature :

Qu’importe à lui ce qui déplaît
Ou rit à la foule légère !
Il rêve, et puis son flageolet
Dit : « Que ne suis-je la fougère ! »

VI. — LE DÉPART.

Les mourans font toujours des projets de voyage :
Ils disposent du temps qui ne reviendra pas ;
Et faibles, chancelans, trahis à chaque pas,
Ils parlent de soleil et de lointaine plage !

« Ô campagne de Nice, éclatant paysage !
Nous partirons demain ; le salut est là-bas ! »
Et quand déjà la mort les presse entre ses bras,
On tâche de sourire à leur pâle visage.

Ils ne partiront point. Mais, ô Dieu de bonté,
Cache-leur jusqu’au bout que le temps est compté !
Accorde-leur de croire et d’espérer encore !

Dérobe à leurs regards le funèbre chemin !
Puissent-ils s’endormir pour l’éternelle aurore
Et murmurer tout bas : « Nous partirons demain ! »

VII. — LE BERCEAU.

Quel temple pour son fils elle a rêvé neuf mois !
Comme elle fêtera l’enfant dont Dieu dispose !
Il lui faut un berceau tel que les fils de rois
N’en ont point de pareils, si beaux qu’on les suppose !

Fi de l’osier flexible ou bien du simple bois !
L’artiste a dessiné la forme qu’elle impose :
Elle y veut incruster la nacre au bois de rose ;
Il serait d’or massif, s’il était à son choix !

Rien ne semble trop cher, dentelle ni guipure,
Pour encadrer de blanc cette tête si pure
Dans le lit qu’on apprête à son calme sommeil.

Il est venu, le fils dont elle était si fière !
Il est fait, le berceau, — le berceau sans réveil !
Il est de chêne, hélas ! et ce n’est qu’une bière.

Eugène Manuel.