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qui fut joué à l’Opéra de Paris le 18 mai 1779. D’ailleurs, ajoute le savant biographe, Gluck a mis dans cette phrase, comme dans tout le reste, l’empreinte indélébile de son génie[1]. La plupart des biographes assurent aussi que Guadagni fut appelé à Potsdam par le grand Frédéric, qui, émerveillé de son talent, lui remit une tabatière en or ornée de diamans, le plus riche cadeau, dit-on, que ce roi mélomane, mais très économe, ait jamais donné à un chanteur. On ne sait pas au juste en quelle année Guadagni a quitté le théâtre. Lord Edgecumbe, qui voyageait en Italie en 1786, entendit Guadagni à Padoue chanter un motet dans l’église de Saint-Antoine. Il était attaché à la chapelle très riche de cette église depuis l’année 1780. Guadagni parla beaucoup de l’Angleterre au noble dilettante, il se louait de quelques puissans amis qu’il y avait rencontrés.

Guadagni était assez grand de taille et d’une très jolie figure. Sa voix avait le caractère et l’étendue d’un contralto, comme nous pouvons le vérifier par le rôle d’Orfeo que Gluck a écrit pour lui. Cette voix était d’une grande douceur et d’un timbre pénétrant. Guadagni chantait avec un grand goût et beaucoup plus de simplicité de style que la plupart des sopranistes de son temps. Il disait surtout admirablement le récitatif et brillait par la manière dont il savait développer la phrase d’un cantabile. Doué, comme tous les sopranistes, d’une longue respiration, il la dirigeait avec maestria, et produisait des effets étonnans avec des moyens fort simples. Homme instruit, comme l’étaient en général les chanteurs de son espèce, bon musicien, Guadagni s’accompagnait sur le clavecin et composait lui-même d’agréables canzonette. Son succès fut grand, et il gagna une belle fortune. Il vécut à Padoue pendant vingt-cinq ans, entouré de la considération générale, car il était charitable et libéral. Il est mort très âgé, dans une maison de campagne qu’il avait près de cette ville, la veille de la chute de la république de Venise, en 1797.

J’ai entendu dire dans ma jeunesse à Venise, par quelques personnes qui avaient pu voir Guadagni au théâtre, que c’était un chanteur vraiment admirable. Lablache, qui a connu Pacchiarotti à Padoue, où il avait succédé à Guadagni comme chanteur de la chapelle de Saint-Antoine, m’a bien souvent assuré que ce dernier sopraniste parlait de Guadagni comme d’un portento de sentiment et d’expression pathétique. C’est l’opinion de tous les biographes et de tous les écrivains du temps qui ont parlé de Guadagni.

  1. Il paraît certain cependant que Gluck a eu l’étrange faiblesse d’emprunter à l’opéra de Bertoni, Tancredi, un air qu’il aurait intercalé dans son Iphigénie en Tauride. Ce fait curieux de plagiat serait consigné dans une lettre de Bertoni à l’architecte Coqueau, qui a été un grand amateur de musique. M. Berlioz a eu tout récemment l’occasion de vérifier l’assertion de Bertoni en consultant sa partition de Tancredi, qu’on trouve à la Bibliothèque impériale. Cette inexplicable faiblesse de Gluck me rappelle celle bien plus grande de Paisiello, qui fit représenter à Saint-Pétersbourg tout un opéra de Piccini, Alessandro nell’ Indie, qu’il donna pour une œuvre de sa composition ! Le fait est raconté par Ginguené dans une note de sa Vie de Piccini.