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Je sais que votre amour pour elle vous a seul fait tarder à exécuter mon premier commandement, et c’est, j’en conviens, ma première joie en ce monde que vous l’aimiez ainsi ; mais la nécessité de mes affaires me contraint à vous dire que vous devez mettre l’obéissance à un père au-dessus de l’amour pour une maîtresse. Que Dieu vous bénisse ! »

Si la cour de Madrid eût vraiment souhaité le mariage, cette menace du prompt départ du prince de Galles, soit qu’il emmenât ou n’emmenât pas avec lui l’infante, n’eût probablement pas été sans effet ; mais, malgré l’enthousiasme des premiers momens, malgré les protestations et les fêtes, le séjour prolongé de Charles et de Buckingham, loin de hâter le succès de la négociation, la rendait de jour en jour plus épineuse et plus vaine. Attirés, soit par la curiosité, soit par le désir de ne pas rester étrangers à l’important événement qui se préparait, un grand nombre d’Anglais, depuis les lords Carlisle, Kensington, Denbigh, etc., jusqu’au bouffon du roi Jacques, le bossu Archie, allaient en Espagne et entouraient le prince de telle sorte qu’il y avait, disait-on, à Madrid, une cour anglaise à côté de la cour espagnole. Par leurs idées et leurs mœurs, les Anglais étaient en contraste si profond avec les idées et les mœurs des Espagnols, qu’à chaque instant et sans s’en douter ils se déplaisaient et s’offensaient mutuellement. En présence des cérémonies catholiques de la semaine sainte, plusieurs des assistans anglais ne surent ou ne voulurent pas cacher leur antipathie ou leur dérision. Le roi Jacques avait envoyé à Madrid, pour le service religieux de son fils, deux ecclésiastiques anglicans, les docteurs Mawe et Wren, avec tous les ornemens nécessaires à la célébration de leur culte ; ils n’osèrent pas en faire publiquement usage à Madrid, et de simples prières dans sa chambre à coucher furent le seul acte de sa religion que Charles crut pouvoir se permettre. Un de ses pages mourut d’une fièvre chaude ; quelques heures avant sa mort, un prêtre vint pour le convertir ; Sir Edmond Varney, le rencontrant sur l’escalier ou, selon d’autres, dans la chambre du mourant, se prit de querelle avec lui, et si le comte de Gondomar ne fût intervenu, l’affaire serait devenue sérieuse. Olivarez avait promis au prince de Galles, peu après son arrivée, qu’on ne le tracasserait point sur sa propre religion ; on n’en fit pas moins, pour le convertir, les plus importuns efforts, et Olivarez lui-même insistant un jour dans ce sens : « Comte, lui dit Charles, vous manquez envers moi à votre parole ; je ne manquerai pas à ma foi. » Un gentilhomme de la maison du prince, James Eliot, retournait en Angleterre ; admis à prendre congé de Charles : « Plaise à Dieu, lui dit-il, que votre altesse ne demeure pas longtemps ici ! C’est un lieu bien dangereux et bien propre à troubler et changer un homme ; j’y ai éprouvé ma propre faiblesse,