comprendre qu’il ne devait compter que sur lui-même et sur la volonté du peuple. Il s’attache dès lors à reprendre la politique du sire de Pirkstein, il entretient les sentimens publics, resserre les liens de son parti, provoque des parlemens, et, réunissant enfin dans la ville de Pilgram l’une des plus nombreuses assemblées que la Bohême eût vues depuis longtemps, il fait voter deux déclarations qui sont comme le principe d’un nouvel avenir. L’une concernait le roi, l’autre l’archevêque. « Ce n’est pas assez, disaient les états de Pilgram, que Ladislas, fils d’Albert, soit notre roi désigné pour l’avenir : nos députés iront supplier l’empereur de vouloir bien se dessaisir du royal enfant et le laisser passer de sa tutelle sous la nôtre ; nous le voulons parmi nous, non pas d’espérance, mais de fait ; nous le voulons présent de sa personne, acclamé, couronné, et, jusqu’au jour où il pourra tenir le sceptre, des lieutenans du royaume gouverneront en son nom. Nous voulons aussi que maître Rokycana, élu par nous archevêque de Prague, soit maintenu et confirmé dans ses fonctions ; en même temps que nos députés iront trouver l’empereur pour lui demander notre roi, une autre ambassade ira, soit auprès du pape, soit ailleurs, pour obtenir la consécration de notre archevêque. »
On voit, surtout par ces dernières paroles, que le parti de George de Podiebrad avait eu la majorité à la diète de Pilgram. Un grand pas était fait : on pouvait bien prévoir, il est vrai, que les deux demandes relatives au jeune roi et au vieil archevêque n’amèneraient pas un résultat prochain ; mais la diète avait demandé aussi l’établissement d’un pouvoir intérimaire qui gouvernerait la Bohême jusqu’à la majorité de Ladislas. C’était là le point décisif. À partir de cette date mémorable (12 juin 1446), la situation va se simplifier. Quels sont les prétendons à la lieutenance du royaume ? Il y en a deux qui éclipsent tous les autres, Ulrich de Rosenberg et George de Podiebrad. La lutte qui s’engage est comme un duel acharné, un duel de tous les jours, de toutes les heures, et dont la Bohême entière est le théâtre. Rosenberg a blanchi depuis longtemps sous le harnais ; Podiebrad est dans le feu de la première jeunesse. Rosenberg a plus d’expérience, Podiebrad plus d’audace. Rosenberg a pour lui une partie de la haute noblesse, une partie du haut clergé, le chapitre de l’archevêché de Prague, et hors du pays le pape et l’empereur, Eugène IV et Frédéric III ; Podiebrad a pour lui la nation, le cœur de la nation, barons., chevaliers, bourgeois, tous ceux qui veulent avec plus ou moins de vigueur l’exécution des engagemens du concile ; c’est lui qui tient la bannière de la patrie, et à ses côtés marche ce vieux lutteur des combats de la parole, l’héritier de Jean Huss, l’orateur de la Bohême devant les théologiens de Bâle, le chef de l’église nationale, Rokycana, archevêque de Prague. Ajoutons un dernier trait qui achève le contraste et lui donne un caractère tragique :