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de sa suite, un jeune Tchèque de seize ans et le comté Frangipan, à qui par mégarde on avait laissé son épée. Dès les premiers mots que lui adresse Hunyade, à l’accent de sa voix, à l’attitude des gens qui l’entourent, Cilly comprend qu’il est attiré dans un guet-apens. Il ne lui reste qu’une chance, c’est d’attaquer le premier. Il saisit l’épée de son compagnon, blesse Hunyade et trois de ses chevaliers ; mais, accablé par le nombre, il tombe percé de coups : il était mort déjà quand un des Hongrois lui trancha la tête d’un coup de hache. Le roi, enfermé dans des appartenons particuliers, entendit le bruit des armes et les cris des combattans ; on lui dit qu’une dispute avait éclaté entre le comte de Cilly et le comte Hunyade, : et que Cilly, ayant frappé le premier, venait d’expier son crime. Le roi n’avait rien à craindre, ajoutaient les Magyars ; délivré de l’homme qui prétendait le dominer, délivré de cet ambitieux et de ce traître, il allait régner enfin, et tous les Hongrois s’empresseraient de lui obéir. Ladislas, à dix-sept ans, était aussi dissimulé qu’un vieux cardinal italien ; il feignit d’approuver ce qui s’était passé, il affecta du moins la plus complète indifférence ; apprenant même que ses troupes voulaient attaquer la forteresse pour le délivrer, il leur fit dire par ses barons qu’il n’avait besoin d’aucun secours ; d’ailleurs la croisade était différée jusqu’à l’année suivante, l’approche de l’hiver et l’absence des renforts attendus d’Allemagne rendaient l’entreprise impossible, tous les croisés étaient libres de regagner leurs foyers. Est-il nécessaire d’ajouter que Ladislas n’avait pas amené tant de braves gens à Belgrade pour les congédier dès le lendemain ? Cette décision lui avait été dictée par les Hongrois ; mais le jeune prince s’y prêta de si bonne grâce, que tous y furent pris, amis et adversaires.

Quelques mois après, Ladislas était à Ofen, dans, la forteresse, entouré de ses amis, assuré de l’appui des principaux chefs magyars, et il y proclamait sa majorité. Un jour, le 14 mars 1455, après un tournoi auquel assistaient les deux fils de Jean Hunyade, il prend l’aîné par le bras, cause familièrement avec lui, et le conduit jusqu’en ses appartemens, où, changeant tout à coup de ton, il le fait arrêter. Jugé et condamné comme meurtrier du comte de Cilly, le fils du héros de Belgrade fut décapité le surlendemain. « C’était, dit AEneas Sylvius, un jeune homme de vingt-quatre ans, beau, noble, avec de longs cheveux blonds qui tombaient sur ses épaules à la manière hongroise. Les mains liées derrière le dos, couvert d’un manteau de brocart d’or, il fut conduit sur la place du supplice. Il marchait gaiment à la mort, sans peur, sans angoisses, la tête haute, les regards librement dirigés sur la foule. » Arrivé à l’endroit fatale il prononça quelques paroles, prit Dieu à témoin de son innocence, et s’agenouilla sous la hache. Le bourreau était si troublé, qu’il fut obligé de frapper quatre fois avant que la tête roulât sur l’échafaud.