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intéressans et d’une incontestable originalité. Tel autre, dont la prolixité a mis notre patience à de rudes épreuves, se condense tout à coup, accélère sa marche traînante, et court au but avec une promptitude inespérée. Ailleurs c’est une esquisse mal faite, mais qui donne l’idée d’un excellent tableau : il y est en germe, à l’état d’embryon. Plus loin une conception énigmatique sollicite, bon gré, mal gré, toutes nos curiosités : l’intérêt alors ne porte plus sur l’œuvre elle-même, mais sur la source cachée dont elle émane. Quel cerveau l’enfanta ? quelles passions la dictèrent ? Questions presque insolubles, mais qui font rêver.

Nous les poserons volontiers à quiconque après nous lira Sirenia. Ce volume, sans nom d’auteur, renferme, nous dit-on, les souvenirs d’une préexistence[1]. L’avant-propos, dogmatique au-delà du nécessaire, établit en principe la métempsycose, et s’autorise de ce que Pythagore croyait retrouver en lui les souvenirs distincts d’une vie antérieure, pour nous offrir, garanties authentiques, les réminiscences d’une sirène. Pourquoi cet être fabuleux ? pourquoi ce motif d’incrédulité ajouté à tant d’autres ? Impossible de le deviner. La sirène étant donnée, nous avons, par elle, les confessions d’un oiseau dont elle s’est constituée la protectrice, et qui a son nid au bord d’un lac où grandit un magnifique lis aquatique. Un arbre voisin, quelque peu parent des chênes de la forêt de Dodone, a révélé à la sirène que cet oiseau et cette fleur, presque également aimés d’elle, contiennent à eux deux, et par fractions égales, l’esprit de la femme la plus orgueilleuse qui jamais de ses pieds mortels ait foulé le sol de notre planète. Cette métempsycose en partie double durera jusqu’à ce que l’esprit en question ait été suffisamment ramené à l’humilité. Suivent les révélations de l’oiseau, à qui la sirène finit par apprendre sa langue ; elles sont infiniment moins originales que le début ne pourrait le faire penser : il s’agit tout simplement d’une marquise espagnole mariée au meilleur des hommes, et qui l’a quitté pour mener une existence équivoque. À quatorze ans, la fille de cette noble dame s’éloigne à son tour de la maison paternelle, et n’y rentre, abandonnée bientôt par son séducteur, que pour y mourir de désespoir. Le marquis, dont la santé résiste mal à tant d’infortunes, et qui s’est retiré avec un serviteur fidèle au fond d’une solitude ignorée, y voit arriver bientôt une garde-malade dont les soins assidus, le zèle infatigable lui inspirent une profonde reconnaissance. Cette garde-malade n’est autre que la marquise savamment déguisée, et que le serviteur en question est allé arracher à ses dissipations pour l’amener ainsi au

  1. Sirenia, Recollections of a past existence, 1 vol. London. Rich. Bentley, 1862.