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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/699

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que leur refuse une philosophie hautaine, accoutumée à ne tenir compte que des rapports généraux et absolus.

Acceptons pour, un moment le point de vue auquel se place Albinia Ferrars elle-même. Que de problèmes intéressans vont se poser devant nous ! Elle a son mari à réformer, à rendre plus communicatif, plus pratiqué, plus utile qu’il ne l’est ; Y réussira-t-elle ? Il faut qu’elle l’arrache à ses études sanscrites, à son isolement, à ses rêveries savantes, pour en faire non pas seulement un vrai chef de famille clairvoyant, avisé, obéi, sage conseiller, guide sûr, maître vénéré, mais encore un bon magistrat municipal, un juge de paix actif, énergique, tenant tête à l’impopularité. Sœur d’un ministre, et « lui ayant longtemps servi de vicaire, » Albinia n’entend pas en effet circonscrire à l’enceinte du foyer domestique les efforts de sa charité laborieuse. Animée d’un zèle chrétien qu’elle exagère parfois, et dont le romancier n’hésite pas à dénoncer les excès, elle veut tout améliorer autour d’elle, tour à tour sœur de charité, maîtresse d’école, propagatrice du drainage, ne se refusant à aucune espèce d’apostolat, et, par son désir de tout embrasser, arrivant à ne pas toujours bien étreindre. Après son mari, ce sont les enfans de son mari qui l’occupent. Voici d’abord Lucy, l’aînée, naturel vulgaire masqué par des traits charmans, bonne, mais banale, tête à l’évent, médisante sans méchanceté, dépourvue de tact et de jugement, jolie perruche qui passe sa vie à lisser son beau plumage et à bavarder sans rime ni raison. — Sophy, la seconde, beaucoup moins favorisée quant aux dons extérieurs, cache, sous des dehors passablement disgracieux une âme haute et fière, capable des plus nobles efforts, des sacrifices les plus héroïques. Concentrée en elle-même, sujette à des accès d’humeur qui, mal compris et, mal supportés, annulent en partie ses grandes et solides qualités, elle est pour ainsi dire vouée d’avance au malheur, et semble le pressentir. — Edmund, le cadet du premier lit, est dépourvu de cette virilité que Sophy a de trop ; indolent, paresseux, sans courage contre la souffrance, sans force contre les entraînemens au mal, il est toujours tenté de mentir pour se soustraire aux châtimens qu’il a mérités et de mensonge en mensonge, de promesse vaine en promesse vaine, arrive à se mépriser lui-même. Tels sont les caractères auxquels la jeune belle-mère va devoir ses soins, les cœurs qu’il lui faudra gagner, les vices de nature contre lesquels elle engage la lutte.

Lutte courageuse, lutte obstinée, dans laquelle Albinia rencontrera plus d’un mécompte, plus d’une défaite ! Mainte fois effectivement, tantôt par imprévoyance, tantôt par zèle indiscret, ici pour n’avoir pas su deviner, là pour avoir trop présumé d’elle ou d’autrui, elle