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sa place dans le monde aristocratique où l’opulence de son vieil époux ne lui ouvre pas toutes les portes, et bientôt reparaît sur la scène, avec mille chances favorables à ses prétentions, l’honorable George Merton, dont jadis elle avait essayé la conquête : dans la nouvelle lutte qui s’engage entre eux, tout le danger est pour elle, tous les avantages pour lui, et Walter Stainforth ; revenu à Londres, peut bientôt se convaincre par d’innombrables indices que son père est appelé à payer ce qu’on peut appeler les « frais de la guerre. » Il veut intervenir et démasquer la femme perfide dont il a surpris les secrètes menées ; mais l’ascendant de Laura est trop bien établi, l’aveuglement de M. Stainforth est trop complet pour qu’une révélation pareille ne tourne pas contre le dénonciateur. Walter, accusé calomnieusement de toute sorte de méfaits, est chassé de la maison paternelle, et ne pourra plus désormais compter pour vivre que sur les émolumens de son grade dans l’armée anglaise. Or quiconque connaît l’organisation militaire de la Grande-Bretagne sait de reste ce que comporte de privations et de véritable misère la condition ainsi faite au malheureux jeune homme. Il accepte pourtant ce triste lot plutôt que de se donner à lui-même un indigne démenti, et, par un scrupule honorable, s’interdit, n’ayant pu détromper son père, de déshonorer, comme il le pourrait si bien, la femme hypocrite qui porte leur nom à tous deux. Ida de son côté se reproche d’avoir, par quelques révélations presque involontaires, éveillé les soupçons de son cousin, et par le fait causé sa ruine. Elle ne demanderait qu’à l’en dédommager ; mais comment revenir sur un premier refus et faire comprendre à ce trop modeste prétendant les motifs, fort peu décourageans, pour lesquels il n’a pas été accepté ? Nous connaissons plus d’une Française que cet embarras, ces scrupules, cette gaucherie pourront faire sourire ; aucune cependant ne s’étonnera qu’après s’être ménagé une dernière et secrète entrevue, Ida et Walter aient fini par s’entendre et s’accorder. Il était temps, car le nouveau régiment où Walter était entré par voie d’échange allait s’embarquer pour l’Inde. Trois jours restaient cependant, et trois jours bien employés suffisent, paraît-il, chez nos voisins pour régulariser un mariage : celui de nos deux jeunes gens s’accomplit donc tel qu’il avait été rêvé par M. Stainforth, mais dans des circonstances bien différentes. Walter part immédiatement après ; sa femme le suit quelques semaines plus tard. Quant à mistress Stainforth et à George Merton, étonnés d’abord, puis assez aisés de ce résultat inattendu ; nous ne voyons pas que l’auteur ait pourvu à leur châtiment. À peine laisse-t-il entrevoir quelques inquiétudes chez la femme coupable et quelque refroidissement chez le complice de sa faute. La crainte du scandale éteint déjà chez elle une affection