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très difficile, car il n’y a pas dans ce pays contre les Anglais et les Français les haines et les rancunes qu’il y a contre les Espagnols. » Et cependant le général Prim se rangeait à l’avis de sir Charles Wike en disant qu’il ne pouvait se résigner à mettre l’influence de sa « noble et généreuse nation » et le sang de ses soldats au service de « réclamations si injustes. » Il reconnaissait d’ailleurs qu’il manquait à ses instructions. Et qu’en résultait-il ? C’est que dès la première conférence l’objet immédiat de l’alliance se trouvait écarté.

On ne s’entendait pas mieux sur ce qu’on pourrait appeler la question de politique générale, sur la manière de considérer le gouvernement de M. Juarez et la réorganisation du Mexique. L’incertitude était d’autant plus grande que rien de ce qu’on s’était plu à prévoir n’arrivait. Le pays ne s’était nullement soulevé à l’approche des alliés, laissés à la Vera-Cruz dans une solitude inquiétante, et c’était, à vrai dire, fort explicable, car M. Juarez s’était hâté de publier un décret mettant hors la loi comme pirate et condamnant à mort tout individu faisant partie des forces étrangères qui avaient envahi le territoire. Un autre décret, publié dans l’état de Guanajuato, celui-là même dont M. Doblado était gouverneur avant d’être ministre, disait : « Tout individu qui, verbalement ou par écrit, répandra des nouvelles favorables à l’intervention sera expulsé sur-le-champ de l’état, s’il est étranger, et condamné au service militaire, s’il est Mexicain. Si le crime est commis par la voie de la presse, le coupable sera fusillé sur la simple constatation de l’identité. » Aussitôt qu’on touchait à ces questions de réorganisation, le conflit d’opinions et de tendances éclatait. « Vous ne me surprendrez jamais dans aucune intrigue, disait un jour du mois de janvier l’amiral Jurien de La Gravière ; il est bon cependant que vous sachiez que toutes les fois que des Mexicains me demanderont conseil, je leur indiquerai le gouvernement monarchique comme étant le seul qui puisse mettre un terme aux dissensions dont le Mexique nous donne depuis si longtemps le triste spectacle. — Le gouvernement monarchique ! s’écriait le général Prim, les Mexicains n’en voudront jamais. » Puis, se reprenant, il ajoutait : « Comme sujet moi-même d’une monarchie, comme représentant de la reine Isabelle, je ne saurais sans doute donner d’autres conseils que les vôtres, seulement je les donnerai sans le moindre espoir de les voir écoutés. » Que voulait alors le général Prim ? C’est ce qu’il ne disait pas.

Voilà où en était l’accord dès les premiers momens, et ce qu’il y avait de plus grave, c’est qu’au sens le plus strict du mot on ne pouvait marcher et entrer en campagne. On avait bien prévu en Europe un mouvement sur Mexico ; mais on n’avait pas pris garde à ceci, qu’il