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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/83

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gouvernées par un petit nombre de capitalistes, qu’il faut chercher le vrai type germanique ; c’est dans les ouvrages façonnés à la main par les artisans, et sur lesquels se reflète le goût particulier de la nation. Les ouvriers allemands possèdent à fond les principes de leur état : ils ont une habileté de facture qu’on ne saurait méconnaître, et ne se montrent certes point étrangers à la recherche du beau ; mais leurs œuvres manquent un peu d’éclat, d’élégance et de souplesse. En fait d’ameublement, je me souviens surtout de tables, de fauteuils et d’autres articles d’ébénisterie qui étonnent par la pureté du dessin, par la sévérité des lignes, et, comme diraient les Anglais, par la chasteté de la forme, mais qui, taillés dans un bois pâle, mat et sans vernis, ressemblent à ces peintures allemandes d’un beau style, auxquelles on désirerait seulement plus de ton et de couleur. Un goût d’ameublement qui semble particulier à la Prusse me rappelle les chasses et les mœurs baroniales des bords du Rhin : je parle de ces chaises, de ces dressoirs, de ces étagères, de ces lustres, construits avec des branches de cerf et des dépouilles d’animaux sauvages ; qu’on se figure un salon où hurlent des têtes de renard, où des hiboux effarés déploient leurs ailes au milieu des lumières, et où les fauteuils ont des pieds qui ne sont plus des métaphores, car ce sont les jambes mêmes des grands daims qui couraient dans l’épaisseur des forêts ! Des glaces d’une grandeur formidable, des vases en porcelaine de la manufacture royale de Berlin, des joyaux précieux, arrêtent à chaque pas le visiteur ; mais ces ornemens de la civilisation ne doivent point effacer par leur éclat le côté sérieux du génie de l’Allemagne du nord, qui se montre surtout dans quelques instrumens scientifiques, dans ces horloges par exemple, chefs-d’œuvre de patience et de sagacité, où le mécanicien a fixé les pulsations du temps avec le mouvement des astres et des saisons.

L’Autriche, qui fait vis-à-vis à la Prusse dans le palais de Kensington, se distingue surtout par des objets de luxe d’un travail accompli ; mais, dans l’ordre des travaux qui peuvent assurer le bien-être de la classe la plus nombreuse, l’industrie autrichienne occupe très certainement un rang inférieur. Que cette infériorité tienne aux institutions politiques, au manque de culture morale chez les ouvriers ou aux lois sur les corporations qui enchaînent l’activité nationale, c’est un point que je ne discuterai point ici ; toujours est-il qu’on reconnaît à première vue dans les produits de cet empire une société aristocratique, absolue dans ses vieilles traditions, et chez laquelle le travail, d’ailleurs très ingénieux ou très habile, ne s’exerce guère qu’au profit d’une classe privilégiée. Cette remarque ne peut s’appliquer toutefois à la collection de verreries et de porcelaines venues de la manufacture de Herend, en Hongrie. Cette collection