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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/856

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Nous n’avons plus qu’une circonstance à relever pour achever l’énumération des conceptions mythiques servant de base à la légende grecque sur l’invention du feu. Ce mot sanscrit manthâmi, qui signifie l’acte de tirer le feu du bois au moyen du pramantha, se retrouve, nous l’ayons vu, dans la famille germanique avec sa signification matérielle quelque peu modifiée. Il se retrouve aussi dans la famille hellénique ; mais là il a perdu son sens matériel pour revêtir un sens spirituel. Le manthanô grec veut dire apprendre. Apprendre en effet, n’est-ce pas s’approprier, faire sienne une chose qui vous était étrangère auparavant ? Le mot français lui-même provient d’une manière identique de se représenter l’acte d’acquérir une connaissance nouvelle. Il en résulta que le nom de Prométhée, emporté par les Grecs de la patrie primitive, se spiritualisa sous l’influence du progrès analogue accompli par le mot sanscrit. Le nom de Prométhée a perdu dans la Grèce son sens originel, et signifie désormais celui qui sait d’avance, le prescient, le prévoyant. Par opposition, son frère Epiméthée, celui qui réfléchit sur le passé, qui ne sait qu’après et ordinairement trop tard, ne devait pas tarder à apparaître.

Nous sommes arrivés au confluent de tous ces courans divers. Il est établi que l’être producteur du feu est l’ami et le bienfaiteur des hommes, si même il n’en est pas le créateur ; la manière dont il fait sortir le feu ressemble à un larcin ; en le communiquant aux hommes, il les a civilisés, il les a rendus plus puissans, mais aussi moins soumis aux dieux. L’instrument générateur de la flamme porte un nom qui, se spiritualisant en même temps que le verbe dont il dérive, devient synonyme du savoir, de la pénétration, de la prévision. Il nous faut voir maintenant ce que le génie grec, travaillant avec sa merveilleuse habileté sur ces données originelles, a fait du pramantha védique.


II

La légende grecque de Prométhée (et la plupart des mythes populaires de l’ancienne Grèce en sont là) se prête beaucoup moins qu’on ne le croirait à être condensée en un tout homogène. Nous sommes souvent trompés en pareille matière par la forme arrêtée que les beaux-arts ou la poésie classique ont donnée aux traditions religieuses de l’ancien monde. Une seule des nombreuses variantes qui se partageaient les esprits dans la haute antiquité est ainsi devenue canonique pour la postérité. Nous ferons donc une distinction entre les mythes dont Prométhée est le centre avant et après Eschyle et