Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/862

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par quelle analogie plusieurs mythes font de lui le créateur ou du moins le formateur de l’espèce humaine. C’est lui qui l’aurait animée du feu céleste après l’avoir pétrie du limon terrestre. D’autres fois néanmoins c’est Jupiter ou Minerve qui communique à l’homme l’étincelle de vie : intéressant parallèle de l’origine assignée à l’homme par la Genèse. Toutes ces idées furent révélées naturellement aux premiers observateurs par la surabondance de vie végétale et animale que déploie la nature aux lieux chauds et humides, jointe au sentiment qui n’a jamais abandonné l’homme, qu’il est en quelque sorte la dernière éjaculation, le dernier fils de la terre. C’est Prométhée encore qui, dans une autre légende, conserve la race humaine que Jupiter voulait faire périr par le déluge, car c’est lui qui conseille à Deucalion de construire l’arche. C’est avec la racine d’un rouge de sang, tirée de la terre humectée par la liqueur sortant de son foie lacéré, que Médée la magicienne compose le breuvage qui rend invulnérable et guérit toutes les maladies. Nous reconnaissons que l’idée de Prométhée créateur de l’homme n’est positivement et clairement définie que dans des auteurs relativement modernes ; mais elle doit remonter beaucoup plus haut. Sapho déjà semble y avoir fait allusion. À Panopées, en Phocide, on montrait des blocs de pierre grise singulièrement contournés en disant que c’était là le limon dont Prométhée avait façonné les premiers hommes. Toutefois cette croyance ne devint générale et populaire que dans les derniers siècles du paganisme ; elle se prêtait en effet aux allégories philosophiques si recherchées à cette époque, et offrait ce caractère de mélancolie particulier aux religions qui s’en vont et qui voient tout en noir. On finit par substituer la Prométhéia à Prométhée lui-même, ce qui faisait des hommes les enfans du souci.


III

Tels sont les matériaux divers que la tradition grecque mit à la disposition du grand génie à qui surtout nous devons l’intelligence du mythe de Prométhée et de l’idée profonde qui en fait la tragique beauté. Eschyle en a tiré un de ces chefs-d’œuvre qui entrent dès leur apparition dans le trésor de l’humanité et n’en sortent plus. Il s’est bien gardé d’amalgamer tous les élémens de la légende. Avec la sobriété des grands maîtres, il a sacrifié les accessoires et s’est attaché avant tout à faire ressortir, vigoureusement dessinée sur le fond légendaire, la majestueuse figure du titan victime de son génie et de son amour. Le grand fleuve mythique dont nous avons retrouvé la source, se partageant en bras divergens, se serait perdu finalement