Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 40.djvu/872

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ait souvent attiré l’attention des penseurs religieux. La couleur romantique qui en fait une exception dans le milieu grec où nous le rencontrons devait lui valoir les sympathies particulières des grands poètes les plus rapprochés de nous, Schiller, Goethe, Shelley, Byron. Tout le monde connaît en France l’interprétation hardie qu’en a donnée un éloquent écrivain, M. Edgar Quinet. Cependant on ne peut pas dire que la sérieuse appréciation des vérités philosophiques et religieuses impliquées dans ce mythe remonte très loin dans l’histoire de la pensée chrétienne. On ne trouve que de rares allusions à Prométhée dans la littérature des pères de l’église, et cela est d’autant plus étonnant que leurs réflexions se reportent très souvent sur les fables païennes, soit que, sous l’influence des idées alexandrines, ils cherchent dans les vérités religieuses et morales symbolisées par la mythologie des inspirations imparfaites, mais déjà respectables, de la raison divine, universellement répandue dans l’humanité, soit qu’ils ne voient dans ces analogies que des ruses du démon. Comment donc n’ont-ils pas été plus frappés de tout ce qu’il y a de chrétien longtemps avant le christianisme dans le merveilleux déroulement du drame d’Eschyle ? Tertullien seul, du moins à ma connaissance, en a tiré parti, et seulement en passant. Il présente quelque part le Christ aux païens comme le verus Prometheus blasphemiis lancinalus. Chez les autres, c’est tout au plus si l’on peut signaler de vagues indications tendant à montrer dans Prométhée le prévoyant une personnification de la Providence, ou dans la fable qui le représente pétrissant l’homme avec de l’argile un écho du récit de la Genèse. Cela tient d’abord au manque absolu de critique et de goût qui dépare ordinairement les appréciations que les pères faisaient du paganisme, mais surtout au fait, démontré par l’histoire du dogme, que le côté par lequel la tragédie d’Eschyle se prête le mieux à un parallèle avec l’Évangile, savoir le caractère rédempteur du héros expiant par d’horribles souffrances son généreux dévouement à l’humanité, n’était pas plus compris de leur temps que la face correspondante du christianisme. L’unité de Dieu et, par une conséquence naturelle, les rapports du Fils avec le Père concentrent l’attention des premiers siècles de l’église, engagée en plein dans sa lutte à mort avec le vieux polythéisme. La doctrine de la rédemption reste sur l’arrière-plan de l’enseignement ecclésiastique, au moins jusqu’à Augustin. Après lui, il y eut de trop bonnes raisons pour qu’on ne se préoccupât plus guère de rechercher les affinités des religions antiques et de la religion chrétienne.

Il en fut autrement depuis la renaissance, et surtout depuis la réforme. Celle-ci, s’inspirant des épîtres de Paul, avait remis au centre même de l’enseignement chrétien l’œuvre de rédemption accomplie