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Ce fin diplomate, ce brillant et ingénieux prélat, Æneas Sylvius Piccolomini, si longtemps mêlé aux affaires des hussites et qui avait eu de si curieuses conférences à Prague avec George de Podiebrad, est élu pape sous le nom de Pie II l’année même où George de Podiebrad est élu roi de Bohême[1]. Le roi George et le pape Pie II, le chef des hussites assis sur le trône de Sigismond et l’ancien secrétaire du concile de Bâle assis sur le trône d’Eugène IV, voilà certes un rapprochement extraordinaire, et si l’on songe que ces deux hommes, issus du même parti, associés du moins à la même œuvre de conciliation chrétienne, vont se livrer une lutte à mort et inaugurer la bataille séculaire qui se termine aujourd’hui sous nos yeux, ne faut-il pas dire que c’est là une des plus tragiques péripéties de la tragédie hussite ?

Æneas Sylvius Piccolomini, des l’âge de vingt-six ans, assistait aux premiers travaux du concile de Bâle comme secrétaire du cardinal Capranica. Le parti qui voulait limiter le pouvoir papal, en le soumettant à l’autorité de l’église, n’avait pas de plus intrépide soldat que ce jeune docteur. Il attaquait les abus de la cour romaine avec l’impétuosité d’un tribun. Quand le concile de Bâle eut déposé Eugène IV et donné la tiare au prince Amédée de Savoie, Æneas Sylvius accepta un poste de confiance auprès du nouveau pape. On ne pouvait pas être plus engagé dans l’opposition ; mais bientôt le parti du concile n’ayant plus de centre, plus de chefs, et au contraire l’ardent Vénitien Eugène IV redoublant de vigueur et d’audace, le secrétaire de Félix V ne tarda pas à capituler. Diplomate au service d’Eugène IV, évêque sous Nicolas V, cardinal sous Calixte III, il devint surtout le grand homme d’affaires de l’église romaine en Allemagne, en Bohême, en Hongrie, en Moravie, dans toute l’Europe centrale et orientale. Louer l’esprit, le talent, la sagacité, le brillant savoir, la plume vive et alerte d’Æneas Sylvius Piccolomini, serait un soin superflu ; ses écrits sont là pour nous dire les dons qu’il avait reçus, dons variés, précieux, et qu’il développa en tous sens par l’action comme par l’étude. Son tableau de l’Allemagne au XVe siècle, ses récits de la guerre des hussites, son histoire de l’empereur Frédéric III pendant la période où il le servit comme ministre et ambassadeur, ses lettres surtout, ses messages, ses relations diplomatiques, toutes ces pages rédigées d’une plume si fine et pleines de documens si précieux pour l’histoire du temps, nous montrent le spirituel négociateur sur le théâtre de son infatigable activité. Æneas Sylvius Piccolomini est un des plus savans personnages de cette renaissance si féconde en érudits illustres ; on ne vit pas sa renommée pâlir’ à côté des Grecs ingénieux

  1. L’élection de Pie II eut lieu le 14 août 1458. George de Podiebrad, élu roi le 2 mars, avait prêté serment le 6 mai devant les légats de Calixte III.