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catholiques, réunis chez le doyen Hilaire, écoutaient les instructions de leur chef. Le digne doyen leur recommanda la prudence, la fermeté ; ni paroles arrogantes ni capitulations peureuses, c’était l’attitude qui leur convenait. Si la colère du roi tombait sur l’un d’entre eux, pourquoi celui-là se troublerait-il ? Ils marchaient tous ensemble, ils avaient une même âme pour soutenir une même cause. Après avoir invoqué Dieu dans la vieille cathédrale, près du tombeau des saints martyrs de Bohême, ils se rendirent au palais comme s’ils marchaient au supplice, les uns fort effrayés, silencieux, abattus, et n’obéissant qu’à la contrainte, les autres transportés d’enthousiasme et heureux de donner leur vie, s’il le fallait, pour attester leur foi. Tous se trompaient. L’homme qui les faisait comparaître devant lui n’était pas un inquisiteur du moyen âge ; ils allaient voir une chose dont ils ne se doutaient guère, l’image du christianisme humain, l’un des premiers types, le plus noble peut-être, du vrai souverain moderne.

Le long cortège, descendant des hauteurs du Hradschin, traversa le pont de la Moldau et se dirigea vers le palais du roi. Ils marchaient deux à deux, trois à trois, au milieu d’une population hostile, mais apaisée, car elle avait confiance dans son chef. Quand ils arrivèrent, les prêtres hussites, plus nombreux encore selon toute vraisemblance (les documens n’indiquent pas le chiffre), étaient déjà rassemblés dans la salle des états, sous la conduite de maître Rokycana, l’archevêque élu. Chacun ayant pris place, le roi parla ainsi : « Depuis que la grâce de Dieu m’a fait monter sur ce trône, j’ai consacré tous mes jours, toutes mes veilles, à maintenir au dehors l’honneur du royaume et sa tranquillité au dedans. Vous au contraire, prêtres des deux églises, vous ne cessez de vous quereller, vous vous injuriez les uns les autres, vous vous traitez réciproquement d’hérétiques, de sectaires, vous refusez la sépulture aux morts et l’entrée des temples aux vivans. Ce n’est pas tout : il en est parmi vous qui se déshonorent en fréquentant des femmes de mauvaise vie, en se livrant au jeu, en se souillant de débauches que j’aurais honte de nommer. Si vous ne vous amendez vous-mêmes, je serai obligé de prendre des mesures pour que l’honnêteté publique ne reçoive pas d’atteintes. En outre nous vous ordonnons à tous, membres des deux clergés, d’observer religieusement les compactats que le concile de Bâle a donnés à ce royaume pour y établir la paix. Quiconque osera les violer n’échappera point à ma colère. Je ne souffrirai pas que vos dissensions nuisent à la prospérité du royaume. » Le doyen du chapitre catholique et l’archevêque hussite répondirent brièvement, chacun au nom de son troupeau. Tous deux commencèrent par rendre grâce au roi des biens dont il avait comblé la patrie. Rokycana soutint que les reproches formulés par le roi ne pouvaient