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après avoir crevé une trentaine de chevaux, dit la chronique. Couvert de sueur et de poussière, il se présente à la porte du palais. La nuit était fort avancée, et déjà le roi s’était retiré dans sa chambre. Les gardes ajournent le messager au lendemain ; il insiste, il se nomme, il vient de la part de l’empereur, il faut qu’il parle au roi. On l’introduit enfin. « Sire, l’empereur est perdu, si vous ne venez à son aide. » Et il raconte au roi l’insurrection de Vienne. Enfermé dans la forteresse avec l’impératrice et sa famille, Frédéric n’a que trois ou quatre cents gardes pour se défendre, et la forteresse est enveloppée par une armée de onze mille hommes que grossit de jour en jour une population exaspérée. Ce n’est plus une de ces luttes féodales où les états révoltés arrachent des concessions au souverain ; c’est tout un peuple en révolution. Les insurgés en veulent à la vie de l’empereur et des siens. La forteresse peut tenir encore, mais ses jours sont comptés ; sans le secours du roi de Bohême, il n’y a plus d’espoir. Le roi écoute les prières du messager et se recueille un instant. Laissera-t-il périr ce souverain qui peut lui faire tant de mal ? Essaiera-t-il de le vaincre par la grandeur du bienfait ? Après une délibération de quelques minutes, il dit à Baumkircher : « Repose-toi cette nuit ; mais demain, au point du jour, hâte-toi de retourner vers ton maître, et annonce-lui mon arrivée. Quelques jours seulement pour rassembler. mes troupes, et je pars. Nous sauverons l’empereur, je le jure, ou nous mourrons avec lui. » Le danger était si grand que cette promesse ne suffisait pas ; l’envoyé de l’empereur voulait un signe, un gage, qui fît connaître la résolution du roi de Bohême et jetât la terreur parmi les insurgés ; il demanda que le fils du roi, le prince Victorin, accompagné de quelques seigneurs de la cour, partît avec lui dès le lendemain. » Il partira, » dit le roi.

Que se passait-il donc en Autriche ? Il y avait depuis longtemps dès querelles très vives entre les états et l’empereur, l’empereur travaillant sous main à étendre son pouvoir dans ses provinces héréditaires, les états défendant leurs franchises avec vigueur. L’ambition de Frédéric III lui faisait des ennemis que sa faiblesse enhardissait de jour en jour. Au reste, les orages qu’il soulevait ainsi ne paraissaient guère l’effrayer ; il disait que l’orage s’apaiserait, que le temps calmerait les passions, et, comptant sur cet auxiliaire infaillible, il poursuivait tranquillement ses desseins. En vain l’impératrice, une vive et ardente Portugaise, le poussait-elle à se venger de ses ennemis : « Le vengeur, c’est le temps, » répondait-il. Il savait aussi que, dans les momens critiques ; les secours ne lui manqueraient pas ; n’y avait-il pas toujours quelque prince dans l’empire qui pouvait avoir besoin de lui ? La majesté impériale n’était-elle pas encore un talisman ? Économe jusqu’à l’avarice, circonspect jusqu’à