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l’assimilation, la génération, comme on explique le jeu d’une horloge, c’est ce que Stahl ne pouvait souffrir. Il soutint que les combinaisons les plus subtiles et les plus profondes de l’étendue ne peuvent produire un brin d’herbe, à plus forte raison le corps d’un animal, à plus forte raison celui de l’homme. La vie suppose un principe supérieur au mécanisme, voilà la grande et durable conquête de Stahl.

Ce principe, quel est-il ? Ici Stahl s’engage dans une hypothèse. Il admet que le principe qui a présidé aux fonctions du corps humain, c’est l’âme, l’âme pensante. Quoi ! dira-t-on, c’est mon âme qui préside à la digestion, à la circulation du sang ? Mais l’âme ignore profondément le jeu de ces fonctions. — Qu’importe ? répond Stahl. L’âme fait bien d’autres choses dont elle n’a pas conscience. Il y a en elle deux vies, celle de la pensée réfléchie et de la volonté en pleine possession d’elle-même, et puis avant celle-là, au-dessous de celle-là, la vie organique, vie spontanée, inconsciente, qui ne laisse aucune trace dans la mémoire, parce qu’elle est étrangère à la réflexion et au raisonnement. C’est en vertu de cette activité latente que l’âme à l’origine s’empare du germe, l’organise et se construit à elle-même sa demeure ; après avoir formé les organes, c’est elle qui les maintient, les administre, et quand le corps est fatigué ou malade, c’est elle encore qui travaille à le réparer et à le guérir.

Telle est l’ingénieuse et paradoxale doctrine de Stahl. On l’appelle l’animisme à cause du rôle souverain qu’elle assigne à l’âme dans les fonctions organiques. Il est clair qu’elle fut d’abord une réaction violente contre le mécanisme cartésien, qui regardait l’âme dans le corps comme une étrangère, et ne savait où lui trouver un point d’appui pour agir sur son compagnon matériel. Bientôt cependant il advint à Stahl ce qui était arrivé à Locke, à Leibnitz, à tous les premiers adversaires de Descartes : il fut dépassé par la réaction. On se moqua de l’esprit pur et des idées innées. À force d’agrandir la part du corps et des sens dans la formation de nos idées, on ne vit plus dans l’homme que la sensation. La sensation elle-même parut n’être qu’un état particulier de l’organisme, de sorte que, de degré en degré, de chute en chute, on passa de Locke à Condillac, de Condillac à Helvétius, d’Helvétius à Cabanis et à Lamarck. Il ne fut plus question désormais de Stahl et de son animisme ; on tomba dans le matérialisme absolu.

C’est au milieu de cet état de choses que la philosophie du XIXe siècle a pris naissance. Elle a commencé par une revendication énergique des droits de l’âme humaine. Reprenant l’héritage de Descartes, mais prémunie par les leçons du passé contre les illusions de l’idéalisme, et sachant, à l’exemple des sages de l’Ecosse, ses maîtres de prédilection, se conformer aux besoins et aux légitimes exigences du