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physiologie ne rendît les armes devant l’évidence de sa démonstration psychologique. « A tout le moins, disait-il à M. Cousin, les philosophes m’accorderont que j’ai trouvé une nouvelle preuve de la spiritualité de l’âme. » Il y aura bientôt vingt ans que Jouffroy lisait son mémoire. Le matérialisme s’est-il déclaré vaincu ? La doctrine de Jouffroy a-t-elle réussi à mettre d’accord les philosophes spiritualistes ? Hélas ! non. Le matérialisme semble aussi obstiné que jamais, et voici dans le camp spiritualiste une réaction croissante contre la doctrine de Jouffroy. Le signe le plus expressif de cette réaction, c’est la renaissance récente de l’animisme de Stahl. Si on se bornait à remettre en honneur ce personnage illustre, à réimprimer ses écrits, à marquer sa place dans l’histoire de la philosophie et de la médecine, nous n’aurions qu’à applaudir ; mais on ne s’en tient pas là : un certain nombre d’hommes distingués, M. Bouillier, M. Tissot, M. Charles, d’autres encore, reprennent l’idée stahlienne pour leur propre compte : ils nous proposent de considérer désormais les actes vitaux ou physiologiques comme une fonction de l’âme pensante, c’est-à-dire de renverser la barrière que Jouffroy croyait avoir établie pour jamais. Examinons la portée et la valeur de cette prétention.


II

Le nouvel animisme est une réaction contre le spiritualisme de Maine de Biran et de Jouffroy, comme l’animisme de Stahl était une réaction contre le spiritualisme de Descartes, et j’ajoute : comme l’animisme d’Aristote avait été une réaction contre le spiritualisme de Platon ; car ce n’est point Stahl qui a inventé l’animisme, il n’a fait que reprendre, sans le savoir à la vérité, la tradition péripatéticienne, qui ne s’était jamais perdue, grâce à l’école d’Alexandrie, et plus tard à la philosophie des Arabes et des scolastiques chrétiens. Platon avait dit que l’âme est d’origine céleste, que son essence est de vivre d’une vie toute spirituelle, qu’elle est tombée dans le corps à la suite d’une chute mystérieuse[1], que sa destinée en ce monde est de s’affranchir des organes, et, à travers une série de voyages et d’épreuves corporelles, de reconquérir sa vie primitive en Dieu[2]. Contre cette haute doctrine, chère aux âmes mystiques, s’éleva le génie critique d’Aristote. Il ne voyait dans la préexistence des âmes, dans la chute et la métempsycose, que des mythes ingénieux, des métaphores poétiques. Il se moquait de ces âmes qui voyagent à la recherche d’un corps et changent d’organes comme on change d’hôtellerie.

  1. Voyez le Phèdre.
  2. Voyez surtout le Phédon.