Il faut accorder au moins, dit-on, qu’il est plus simple de n’admettre pour ces deux faits qu’un seul et même principe. L’argument est d’un emploi dangereux. Il faut se défier des systèmes simples. Quoi de plus simple que le matérialisme absolu, qui explique l’homme tout entier avec des atomes plus ou moins subtils ? — On aura beau faire, l’homme est un être très compliqué, et l’animisme, en dépit de son goût pour l’unité, est forcé de reconnaître au moins une certaine dualité, celle de l’âme et du corps.
J’ai hâte de sortir de ces abstractions, de ces raisonnemens a priori, de ces conjectures métaphysiques. Consultons les faits. Depuis Stahl, l’animisme se plaît à constater l’influence qu’exercent les passions de l’âme sur l’état des organes. En effet, cette influence est considérable, et j’ajoute qu’elle est réciproque. Une injure toute morale fait bouillonner le sang. Une joie très forte arrête la respiration. La peur paralyse les membres et empêche de fuir. Je n’irai pas jusqu’à dire, avec le docteur Feuchtersleben, que pour vivre il suffit de le vouloir[1]. Le savant homme se permet là une hyperbole un peu trop forte ; mais qui n’a entendu attester par des hommes de guerre combien un bon moral soutient le soldat dans les fatigues de la marche et du bivac ? Et quand il est blessé, si l’énergie de sa volonté l’accompagne à l’ambulance, elle aide le chirurgien dans ses opérations les plus sanglantes et les plus périlleuses. On me permettra de citer ici un fait qui est à ma connaissance presque personnelle. Un ami de ma famille me racontait, pendant mon enfance, que son père, homme très attaché de cœur à nos anciens rois, le jour où il apprit la condamnation de Louis XVI, tomba mort. Si un chagrin de l’âme peut tuer le corps, l’influence réciproque du corps sur l’âme n’est pas moindre. Qui peut nier qu’une bonne hygiène ne soit nécessaire à l’équilibre des facultés intellectuelles ? Il suffit, pour troubler la plus puissante intelligence du monde, d’un de ces petits cailloux dont parle Pascal, qui, placés ici plutôt que là, causent d’effroyables douleurs. N’insistons pas : tous ces faits sont bien connus. Stahl, Cabanis, Maine de Biran, et depuis ces maîtres Frédéric Bérard, M. Flourens, M. Lélut[2], en ont composé une science des plus riches et des plus intéressantes, qu’on appelle la science des rapports du physique et du moral. Ces faits prouvent qu’il existe entre l’âme et le corps des rapports intimes ; prouvent-ils que l’âme soit la cause des actes vitaux ? Nullement : à côté de chaque fait cité
- ↑ Hygiène de l’Ame, traduit de l’allemand sur la vingtième édition, par le docteur Schlesinger-Rahier, avec une introduction par M. Delondre, 1 vol. in-12.
- ↑ Voyez le livre récent de M. Lélut, intitulé Physiologie de la pensée (2 vol. in-8o, chez Didier). C’est le résumé d’une vie entière consacrée à l’observation des rapports de la pensée avec l’organisme.